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lundi, 28 décembre 2020

Hommage à Stefan George

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Hommage à Stefan George

par Luc-Olivier d'Algange

La poésie est un combat. Aussi sereine, désinvolte ou légère qu’on la veuille, si éprise de songes vagues ou du halo des mots qui surgissent, comme l’écume, de l’immensité houleuse de ce qui n’est pas encore dit, la poésie n’existe en ce monde que par le dévouement, le courage, l’oblation martiale de ses Serviteurs. A ce titre, toute poésie est militante, non en ce qu’elle se voudrait au service d’une idéologie mais par la mise en demeure qu’elle fait à ceux qui la servent de ne servir qu’elle. Nul plus que Stefan George ne fut conscient de cette exigence à la fois héroïque et sacerdotale qui pose la destinée humaine dans sa relation avec la totalité de l’être, entre le tout et le rien, entre le noble et l’ignoble, entre l’aurore et le crépuscule, entre la dureté du métal et « l’onde du printemps» :

 

« Toi, toujours début et fin et milieu pour nous

Nos louanges de ta trajectoire ici-bas

S’élèvent Seigneur du Tournant vers ton étoile… »(1)

 

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Le cours ordinaire des jours tend à nous faire oublier que nous vivons brièvement entre deux vastitudes incertaines qui n’appartiennent point à ce que l’homme peut concevoir en terme de vie personnelle, et qu’à chaque instant une chance nous est offerte d’atteindre à la beauté et à la grandeur en même temps que nous sommes exposés au risque d’être subjugués par la laideur et la petitesse. Depuis que nous ne prions plus guère et que nos combats ne sont plus que des luttes intestines pour le confort ou la vanité sociale, ce qu’il y a de terrible ou d’enchanteur dans notre condition nous fait défaut. Nous voici au règne des « derniers des hommes » dont parlait Nietzsche. Pour Stefan George, la poésie est un combat car le monde, tel qu’il se configure, n’en veut pas. La poésie n’est pas seulement le combat de l’artiste avec la matière première de son art, elle est aussi un combat contre le monde, un « contre-monde » selon la formule de Ludwig Lehnen, qui est, pour des raisons précises, le contraire d’une utopie. Pour Stefan George, ce n’est pas la poésie qui est l’utopie, le nulle part, mais ce monde tel qu’il va, ce monde du dernier des hommes auquel la poésie résiste :

 

« Ainsi le cri dolent vers le noyau vivant

Retentit dans notre conjuration fervente » (2)

 

On peut, certes, et ce sera la première tentation du Moderne, considérer cette majestueuse, hiératique et solennelle construction georgéenne comme une illusion et, de la sorte, croire la récuser. Il n’en demeure pas moins que cette illusion est belle, que cette illusion, si illusion il y a, entraîne en elle, pour exercer les pouvoirs du langage humain, le sens de la grandeur et du sacrifice, l’exaltation réciproque du sensible et de l’intelligible. Force est de reconnaître que cette « illusion » si l’on tient à ainsi la nommer, est à la fois la cause et la conséquence d’une façon d’être et de penser plus intense et plus riche que celles que nous proposent ces autres illusions, ces illusions subalternes dispensées par les sociétés techniciennes ou mercantiles, voire par les idéologies dont les griseries sont monotones et fugaces :

« Et renferme bien en ta mémoire que sur cette terre

Aucun duc aucun sauveur ne le devient sans avoir respiré

Avec son premier souffle l’air rempli de la musique des prophètes

Sans qu’autour de son berceau n’eût tremblé un chant héroïque. » (3)

 

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L’éthique georgéenne s’ordonne à des Symboles et à une discipline qui resserre l’exigence autour du poïen. Ascèse de la centralité, du retour à l’essentiel, de l’épure, cette éthique rétablit la précellence d’une vérité qui se laisse prouver par la beauté en toute connaissance de cause. Pour Stefan George, rien n’est moins fortuit que la poésie. Loin d’être le règne des significations aléatoires ou de vagues divagations de l’inconscient, la poésie est l’expression de la conscience ardente, de la lucidité extrême. L’Intellect n’est point l’ennemi de la vision, bien au contraire. L’Image n’advient à la conscience humaine que par le miroir de la spéculation. Toute poésie est métaphysique et toute métaphysique, poésie. On peut considérer cette poésie métaphysique comme une illusion, Stefan George se refusant à en faire un dogme, mais cette illusion demeure une illusion supérieure dont la supériorité se prouve par la ferveur et la discipline qu’elle suscite :

« Seul peut d’aider ce qu’avec toi tu as fait naître –

Ne gronde pas ton mal tu es ton mal lui-même…

Fais retour dans l’image retour dans le son ! » (4)

Notons, par ailleurs, que ceux-là mêmes qui « déconstruisent » et « démystifient » avec le plus d’entrain les métaphysiques sont aussi ceux qui s’interrogent le moins sur les constructions et les illusions banales comme si, du seul fait d’être majoritaires à tel moment de l’Histoire, elles échappaient à toute critique, voire à toute analyse. La pensée de Stefan George se refuse à cette complaisance. Peu lui importe le jugement ou les habitudes de la majorité. Plus humaniste, au vrai sens du terme que des détracteurs, Stefan George prend sa propre conscience comme point de référence à la conscience humaine. Il éprouve la conscience, la valeur, la volonté, la possibilité et la création à partir de son propre exemple et de sa propre expérience : méthode singulière où l’on peut voir aussi bien un immense orgueil qu’une humilité pragmatique qui consisterait à ne juger qu’à partir de ce que l’on peut connaître directement, soi-même, et non par ouïe dire, précisément à partir d’un « soi-même » dont l’exemplarité vaut bien toutes les représentations et tous les stéréotypes du temps :

« Seuls ceux qui ont fui vers le domaine

Sacré sur des trirèmes d’or qui jouent

Mes harpes et font les sacrifices au temple..

Et qui cherchent encore le chemin tendant

Des bras fervent dans le soir – d’eux seuls

Je suis encore le pas avec bienveillance

Et tout le reste est nuit et néant. » (5)

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Pour Stefan George, croire que sa propre conscience ne puisse nullement être exemplaire de la conscience humaine, ce serait consentir à une démission fondamentale, saper le fondement même du « connais-toi toi-même » c’est-à-dire le fondement de la pensée grecque du Logos qui tient en elle le secret de la liberté humaine. Si un seul homme ne peut, en toute légitimité, donner tort à ses contemporains, fussent-ils en majorité absolue, toute pensée s’effondre dans un établissement automatique et général de la barbarie, voire dans une régression zoologique : le triomphe de l’homme-insecte. Toutefois, à la différence de Stirner, George ne s’appuie pas exclusivement sur l’unique. Sa propre expérience de la valeur, il consent à la confronter à l’Histoire, ou, plus exactement à la tradition. Son « contre-monde » se fonde à la fois sur l’expérimentation du « connais-toi toi-même » et sur la tradition qui nous juge autant que nous la jugeons. L’humanitas, en effet, ne se réduit pas aux derniers venus quand bien même ils s’en prétendent être l’accomplissement ultime et merveilleux. Ce que le dépassement de sa propre conscience exige de lui, ce qu’exige son sens de la beauté et de la grandeur, son refus des valeurs des « derniers des hommes », Stefan George le confronte à ce que furent, dans leurs œuvres, les hommes de l’Antiquité et du Moyen-Age, les Prophètes, les Aèdes, les moines guerriers ou contemplatifs, non pour être strictement à leur ressemblance mais pour consentir à leur regard, pour mesurer à l’aune de leurs œuvres et de leurs styles, ce que sa solitude en son temps lui inspire, ce que sa liberté exige, ce que son pressentiment lui laisse entrevoir :

« Nommez-le foudre qui frappa signe et guida :

Ce qui à mon heure venait en moi…

Nommez-le étincelle jaillie du néant

Nommez-le retour de la pensée circulaire :

Les sentences ne le saisissent : force et flamme

Remplissez-en images et mondes et dieux !

Je ne viens annoncer un nouvel Une-fois :

De l’ère de la volonté droite comme une flèche

J’emmène vers la ronde j’entraîne vers l’anneau » (6)

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Si la joie de Stefan George n’était que nostalgie, elle ne serait point ce salubre péril pour notre temps. La nostalgie n’est que le frémissement du pressentiment, semblable à ces ridules marines qui, sous le souffle prophétique, précèdent la haute vague. Il ne s’agit pas, pour George, de plaindre son temps ou de s’en plaindre mais de le réveiller ou de s’en réveiller, par une décision résolue, comme d’un mauvais rêve. La décision georgéenne n’est nullement une outrecuidance ; elle a pour contraire non point une indécision, qui pourrait se targuer de laisser les hommes et le monde à eux-mêmes, mais une décision inverse, également résolue :

« Possédant tout sachant tout ils gémissent :

‘’Vie avare ! Détresse et faim partout !

La plénitude manque !’’

Je sais des greniers en haut de chaque maison

Remplis de blé qui vole et de nouveau s’amoncelle –

Personne ne prend… » (7)

De même que l’on ne peut nuire à la sottise que par l’intelligence, on ne peut nuire à la laideur que par la beauté. Les promoteurs du laid sous toutes ses formes sont si intimement persuadés que la beauté leur nuit qu’ils n’ont de cesse d’en médire. La beauté, selon eux, serait archaïque ou élitiste et, quoiqu’il en soit, une odieuse offense faite à la morale démocratique et aux vertus grégaires. Le plus expédient est de dire qu’elle n’existe pas : fiction aristocratique et platonicienne dépassée par le relativisme moderne. Sans entrer dans la dispute fameuse concernant l’existence ou l’inexistence de la beauté en soi (et devrait-elle même exister pour être la cause de ce qui existe ?) les démonstrations en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse tiennent sans doute plus à ce que l’on éprouve qu’à ce que l’on raisonne. La beauté telle que la célèbrent Platon ou Plotin est moins une catégorie abstraite qu’une ascension, une montée, une ivresse. Cette beauté particulière, sensible, lorsqu’elle nous émeut, lorsque nous en éprouvons le retentissement à la fois dans notre corps, dans notre âme et dans notre esprit, nous la voulons éternelle. La pensée platonicienne, surtout lorsque s’en emparent les poètes, autrement dit le platonisme qui n’est laissé pas exclusivement à l’usage didactique, est une ivresse, une extase dionysienne qui, par gradations infinies, entraîne l’âme du sensible vers l’intelligible qui est un sensible plus intense et plus subtil. Entre le Sens et les sens, Stefan George refuse le divorce. Sa théorie de la beauté, et le mot « théorie » renvoie ici à son étymologie de contemplation, dépend de ce qu’elle donne ou non à éprouver à travers ses diverses manifestations. Eprouvée jusqu’à la pointe exquise de l’ivresse, la beauté devient éternelle. On peut certes discuter de la relativité des critères esthétiques, selon les temps et les lieux, il n’en demeure pas moins que par l’expérience que nous en faisons, la beauté nous arrache à la temporalité linéaire pour nous précipiter dans un autre temps, un temps rayonnant, sphérique, harmonique, qui n’est plus le temps de l’usure, ni celui de la finalité. Confrontée à cette expérience, la pensée platonicienne édifie la théorie de la beauté comme splendeur du vrai qui n’exclut nullement l’exclamation rimbaldienne : «  O mon bien, ô mon beau ! » car cette beauté en soi n’est « en soi » que parce qu’elle se manifeste en nous. Elle nous doit autant que nous lui devons et réalise ce que les métaphysiciens nomment une « unité supérieure à la somme des parties » :

« … Instant intemporel

Où le paysage devient spirituel et le rêve présence.

Un frisson nous enveloppa… Instant du plus grand heur

Qui couronnait toute une vie terrestre en la résumant

Et ne laissait plus de place à l’envie de la splendeur

De la mer parsemée d’îles de la mer divine. »(8)

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La beauté n’appartient ni à l’Esprit, ni à la chair mais à leur fusion ardente. Sauver la cohésion du monde, son unité supérieure pour garder en soi la multiplicité, la richesse des contradictions, la polyphonie des passions, ce vœu exactement contraire à celui des Modernes, Stefan George en appellera pour le réaliser « aux Forts, aux Sereins aux Légers », qu’il veut armer contre les faibles, les excités et les lourds, autrement dit les hommes grégaires, acharnés à peupler le monde de leurs abominations sonores non sans, par surcroît, être de pompeux moralisateurs et les infatigables publicistes de leur excellence, au point de considérer tous les génies antérieurs comme leurs précurseurs. Tout Moderne imbu de sa modernité est un dictateur en puissance éperdu d’auto-adulation mais en même temps extraordinairement soumis, soucieux de conformité sociale, « bien-pensant », zélé, esclave heureux jamais lassé de s’orner des signes distinctifs de son esclavage. Le Moderne « croit en l’homme », c’est-à-dire en lui-même, mais ce « lui-même », il consent à ce qu’il soit bien peu, sinon rien ! Rien ne lui importe que d’être à ses propres yeux supérieur à ses ancêtres. La belle affaire ! Ceux-ci étant morts, il s’en persuade plus aisément.

« Ne me parlez d’un Bien suprême : avant d’expier

Vous le ravalez à vos existences basses…

Dieu est une ombre si vous-mêmes pourrissez !

(…) Ne parlez pas du peuple : aucun de vous ne soupçonne

Le joint de la glèbe avec l’aire pavée de pierres

La juste co-extension montée et descente –

Le filet renoué des fils d’or fissurés. »(9)

L’œuvre est ainsi un rituel de résistance à l’indifférenciation, c’est-à-dire à la mort : rituel magique, exorcisme au sens artaldien où la sorcellerie évocatoire et l’intelligence aiguë s’associent en un même combat contre Caliban. Pour Stefan George, rien n’est dû et tout est à conquérir, ce qui relève tout autant d’une haute morale que d’une juste pragmatique. Chaque espace de véritable liberté contemplative ou créatrice est conquis de haute lutte contre les autres et contre soi-même. Il n’est d’autre guerre sainte, pour Stefan George, que celle qui sauve, qui sanctifie la beauté de l’instant.

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A l’heure où l’Europe fourvoyée se désagrège, on peut voir en Stefan George l’œuvre ultime de la culture européenne. Cet Allemand nostalgique de la France, disciple de Shakespeare et de Dante, ce poète demeuré fidèle dans ses plus radicales audaces formelles aux exigences et aux libertés de la pensée grecque nous donne à penser que l’Europe existe en poésie. Une idée, une forme européenne serait ainsi possible mais qui ne saurait se réaliser en dehors ou contre les nations. Pour Stefan George, l’Idée européenne jaillit des profondeurs de l’Allemagne secrète, autrement dit de ces puissances cachées, étymologique, ésotériques qui gisent dans le palimpseste de la langue nationale. Evitons un malentendu. Certes, la poésie, comme nous en informe Mallarmé, est faite non avec des sentiments ou des significations mais avec des mots, mais ces mots participent d’une poétique qui engage la totalité de l’homme et du monde. La poésie qui n’est point confrontation avec la totalité de l’être n’est que babil, « inanité sonore ». Toute chose possède son double hideux ; celui de la poésie est la publicité.

La poésie de Stefan George est militante, mais en faveur d’elle-même, où, plus exactement, en faveur de la souveraineté du Symbole dont elle témoigne, du dessein dont elle est l’accomplissement. La poésie est au service de son propre dessein qui, loin de se réduire aux mots, s’abandonne aux resplendissements de l’Esprit dont les mots procèdent et qu’ils tentent de rejoindre sur ces frêles embarcations que sont les destinées humaines. Stefan George dissipe ainsi le malentendu post-mallarméen. Son œuvre restitue aux vocables leur souveraineté. On distingue d’ordinaire dans l’œuvre de Stefan George deux époques, l’une serait vouée à « l’art pour l’art », dans l’influence de Villiers de l’Isle-Adam et de Mallarmé, l’autre, qui lui succède, serait militante, au service de l’Idée et de l’Allemagne secrète. L’une n’en est pas moins la condition de l’autre. Mallarmé et Villiers sont pour  Stefan George, « les soldats sanglants de l’Idée ». Villiers est un écrivain engagé contre le « progrès » et contre l’embourgeoisement du monde. Mallarmé poursuit une « explication orphique de la terre ». C’est en accomplissant l’exigence de la poésie, en amont, que la poésie et la politique se rejoignent. Toute politique procède de la poésie. Rétablir la souveraineté de la poésie, c’est aussi rétablir celle de la politique contre le monde des insectes, contre le triomphe du subalterne sur l’essentiel.

Luc-Olivier d’Algange.

  • L’Etoile de l’Alliance, éditions de la Différence, page 9
  • , page 19
  • Ibid., page 29
  • , page 37
  • , page 49
  • Ibid., page 43
  • Ibid., page 51
  • Ibid., page 139
  • Ibid., page 59

Stefan George, L’Etoile de l’Alliance, Traduit de l’allemand et postfacé par Ludwig Lehnen (éditions de la Différence)

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samedi, 26 décembre 2020

L'influence de Carl Schmitt en Chine

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L'influence de Carl Schmitt en Chine

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

"πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, καὶ τοὺς μὲν θεοὺς ἔδειξε τοὺς δὲ ἀνθρώπους, τοὺς μὲν δούλους ἐποίησε τοὺς δὲ ἐλευθέρους."

"Conflit, de toutes choses père, de toutes choses roi, de quelques-uns il a fait des dieux, d’autres il a fait des mortels, d'autres des serviteurs, d'autres encore, il a fait des hommes libres"

(Héraclite, fragment 53)

Dans une lettre datée de 1933, Martin Heidegger, félicitait le juriste Carl Schmitt, son compatriote, pour le succès de l'ouvrage La notion du politique, qui en était alors à sa troisième édition. Heidegger le félicitait pour la citation que Schmitt avait faite du fragment 53 d'Héraclite et de l'interprétation correcte qu'il avait donnée des concepts fondamentaux de πόλεμος (polemos) et βασιλεύς (basileus). Dans le même temps, Heidegger a non seulement révélé à Schmitt qu'il préparait sa propre interprétation du fragment héraclitéen, directement lié au concept de ἀλήθεια (aletheia), mais aussi qu'il traversait lui-même une forme de "conflit".

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Heidegger et Schmitt étaient tous deux bien conscients que le Superbe d'Ephèse, avec le terme "conflit", ne voulait pas indiquer uniquement et exclusivement une lutte armée. En fait, cela devait être compris également dans le sens de conflit interne. Ce πόλεμος, pour Heidegger, n'était autre que ce "travail de l'ego" qui l'a conduit à ce qu'il a lui-même défini comme un "combat au corps à corps avec son propre moi", à abandonner l'enseignement pendant plusieurs années, mais aussi à produire par la suite quelques ouvrages fondamentaux comme la volumineuse étude sur Nietzsche et Holzwege (Les chemins qui ne mènent nulle part) [1].

Le choix de commencer par le fragment 53 d'Héraclite pour cette réflexion sur l'influence de la pensée de Carl Schmitt en Chine n'est pas fortuit. Le conflit dont s'occupe le penseur grec, et dont Heidegger a compris l'essence, appartient à juste titre à la liste de ces concepts théologiques qui, selon Schmitt, ont été "sécularisés" par la doctrine moderne de l'État.

photo-rabbin-daniel-farhi-héraclite.jpgDans le contexte islamique, puisque la révélation y est à la fois prophétie et loi, le sens réel du terme conflit utilisé par Héraclite apparaît avec toute sa force perturbatrice dans le concept théologique de djihad. Cela, rappelons-le, signifie littéralement "effort" et indique l'engagement de l'homme à s'améliorer, à devenir un "vrai" être humain, paraphrasant l'interprétation qu'en donne l'imam Khomeiny [2].

Le djihad, tel que rapporté dans un hadith bien connu du prophète Muhammad, peut être de deux types : majeur (ou intérieur) et mineur (ou extérieur). Le djihad majeur consiste en la lutte intérieure, comme nous venons de le dire, pour devenir un véritable homme ; tandis que le djihad mineur indique en fait la lutte armée contre un ennemi extérieur au dar al-Islam (maison de l'Islam). Donc, contre quelqu'un qui se trouve dans le dar al-harb (maison de la guerre).

Ce concept se retrouve déjà dans la civilisation chinoise traditionnelle. Au-delà des frontières impériales, en effet, se trouvait l'espace des "barbares" : une région "inculte", un royaume de la guerre et un espace purement quantitatif dans lequel les vertus de jen (solidarité de groupe) et de yi (équité) n'étaient pas pleinement réalisées.

En termes de théorie géopolitique classique, les concepts de conflit interne et externe peuvent facilement être appliqués à l'idée organique de l'État (une entité vivante qui est à la fois morale et spirituelle) développée par Friedrich Ratzel [3]. Ainsi, si l'État est considéré comme un organisme, son conflit intérieur est son effort pour devenir une entité forte, unie et pleinement souveraine, capable d'agir indépendamment et sur un pied d'égalité avec les autres acteurs internationaux dans un théâtre régional ou mondial. Et il est clair que cet effort interne représente la condition préalable essentielle de l'effort externe et, par rapport à ce dernier, joue un rôle primordial.

Maintenant, en voulant transposer l'idée, que nous venons de reconstruire dans le présent texte, à l'actualité géopolitique de la République populaire de Chine, il apparaît évident que les concepts schmittiens de la politique comme "conflit" et de l'opposition dichotomique ami/ennemi ont connu une diffusion notable (et peut-être même inconsciente) à Pékin.

La politique de la "Chine unique" menée par la République populaire se traduit en effet ouvertement par un effort interne dont l'objectif est la réalisation d'une unité nationale complète non seulement en termes territoriaux (rétablissement de la souveraineté sur Taiwan, par exemple), mais aussi en termes idéologiques, en luttant contre cet "ennemi interne" qui se présente sous les différentes formes de séparatisme soutenu par l'Occident : du modèle terroriste du Mouvement islamique du Turkestan oriental (qui a été supprimé récemment de la liste des organisations terroristes par les États-Unis par pure coïncidence) à la rébellion "sorosienne" à Hong Kong, jusqu'à l'influence exercée par des sectes anti-traditionnelles comme le Falun Gong, aujourd'hui revigorée par l'alliance avec le phénomène des QAnon.

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Le chercheur chinois Liu Xiaofeng (profondément influencé par Schmitt), dans son recueil d'essais Sino-Théologie et philosophie de l'histoire, souligne les différences entre le concept européen d'État-nation et le substrat idéologique dans lequel s'est développé l'État chinois actuel. Les meilleurs penseurs politiques chinois, dit le professeur de l'université de Renmin, ont parfaitement compris que l'impérialisme européen moderne était loin de l'ancien concept d'Empire (plus proche, à certains égards, de celui des Perses et des Chinois). Et ils ont réalisé qu'à l'époque moderne, il n'y avait pas qu'un seul impérialisme, mais plusieurs formes d'impérialisme contradictoires, une pour chaque État-nation[4].

coverimage.jpgDans ce contexte, selon l'historien et homme politique Liang Qichao, qui a vécu au tournant des XIXe et XXe siècles à l'époque du déclin inexorable et de la partition impérialiste de l'espace chinois, la solution ne pouvait être que la création d'une forme de nationalisme chinois. Cependant, ce que Qichao considérait comme du nationalisme était une forme de conscience politique et culturelle nationale, mais pas du nationalisme au sens européen du terme. En fait, ce concept est resté complètement étranger à la forme impériale traditionnelle qui, même aujourd'hui, dans son expression modernisée et influencée par le marxisme-léninisme, ressemble davantage au modèle achéménide qu'à l'idée européenne de l'État-nation et de ses impulsions impérialistes. Et, en tant que telle, elle s'est imposée dès son origine comme un dépassement en nuance de cette idée.

L'historiographie occidentale, à travers ce qu'on appelle l'histoire globale, a tenté de dépasser le système eurocentrique basé sur l'État-nation, en le remplaçant par une idée de l'histoire axée sur le changement des structures sociales. Liu Xiaofeng, contrairement à certains de ses collègues et compatriotes, a eu le mérite de réaliser que cette histoire mondiale n'est pas née avec l'essai de William H. McNeill de 1963, The Rise of the West. A History of Human Community [6]. Il a également compris que le désir de surmonter l'eurocentrisme a simplement abouti à une forme assez paradoxale de cosmopolitisme qui cache un impérialisme naturel de matrice anglo-américaine (celui qui est sorti vainqueur du choc avec les autres formes d'impérialisme européen). Ce cosmopolitisme, en effet, continue de considérer le canon "occidental", inspiré des valeurs du capitalisme libéral, comme le meilleur modèle dans l’absolu. Cependant, ce cosmopolitisme occidental examine d'autres modèles avec la bienveillance due au bon sauvage que l’on étudie selon les canons de l’anthropologie et, peut-être, que l’on éduquera à terme (même par le biais du "bombardement humanitaire") pour l'émanciper de lui-même.

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Bien avant l'essai de McNeill, comme le rappelle à nouveau Xiaofeng, Carl Schmitt a publié Le Nomos de la Terre, un ouvrage qui, plutôt que de subvertir l'eurocentrisme aujourd'hui disparu, a pleinement réalisé qu'il avait déjà été remplacé par un système centré sur l'Amérique [7]. Mais Schmitt, contrairement aux prophètes de l'histoire mondiale, utilisait encore un modèle historiographique centré sur les entités étatiques. L'idée fondamentale de Schmitt était de comprendre que les affrontements entre États resteraient fréquents et intenses, indépendamment du mythe cosmopolite de la citoyenneté mondiale, et que cela deviendrait même extrême dans certains cas.

Schmitt, en effet, a compris que la création et la croissance/le développement des États-Unis se sont déroulés dans un contexte où le jus publicum europaeum (celui qui régissait la guerre entre les monarchies chrétiennes européennes sur le sol du Vieux Continent) n'avait aucune valeur.

31V21xQ3hSL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgLes États-Unis sont nés dans un "espace libre" où prévalait la loi du plus fort, celle de l'état de nature et sur le fond idéologico-religieux du thème biblique de l'Exode et de la conviction messianique de la construction du "Nouvel Israël" et de la "Jérusalem sur terre" : des principes qui sont à la base de l'idée puritaine de supériorité morale et de prédestination et qui représentent les fondements existentiels de l'américanisme. Les États-Unis sont nés en totale opposition au modèle européen. Leur entrée sur le Vieux Continent marque le passage de la guerre "légale" à la guerre "idéologique" : l'ennemi doit non seulement être vaincu, mais diabolisé, criminalisé et donc anéanti. Ce que les États-Unis ont fait, c'est ramener en Europe la loi du plus fort, en la considérant, comme les Européens l'avaient fait avec l'hémisphère occidental à l'époque moderne, comme un "espace libre" à soumettre à la simple conquête.

Xiaofeng applique ces idées schmittiennes à la situation géopolitique actuelle en Extrême-Orient et en Chine en particulier. La Chine, à un moment où la « lutte intérieure », que nous évoquions, n'avait pas encore abouti à la formation d'un État fort et pleinement souverain qui lui permettrait de participer pleinement (et équitablement) au forum international, a dû opter pour un accès "technique" au système, par l'entrée dans les institutions internationales. Cette méthode était opposée à celle purement politico-militaire utilisée par le Japon au tournant des XIXe et XXe siècles, lorsque le processus de modernisation endogène réalisé par l'Empire nippon lui a permis de s'affirmer comme une puissance mondiale.

Cependant, l'erreur fondamentale de la classe politique chinoise dans la première moitié du XXe siècle a été de croire que le droit international s'appliquait avec équité à tous les membres de la communauté qui acceptaient ses normes. Xiaofeng rappelle que Tchang Kaï-chek restait fermement convaincu, malgré l'avertissement du conseiller militaire allemand Alexander von Falkenhausen, que les puissances européennes (France et Grande-Bretagne) et les États-Unis viendraient au secours de la Chine face à l'agression japonaise à la fin des années 1930 [8]. De toute évidence, rien de tout cela ne s'est produit et ce n'est qu'avec le début de la Seconde Guerre mondiale et l'entrée des États-Unis dans le conflit que la situation a commencé à changer. 

La nature réelle du droit international a été bien décrite au délégué en URSS de la République de Chine de l'époque, Chiang Ching-kuo, par Joseph Staline. Le "Vozhd", très franchement, lui a dit : "tous les traités sont des chiffons de papier, ce qui compte, c'est la force" [9].

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En effet, la méthode "technique" décrite par Xiaofeng, par laquelle la Chine a d'abord essayé de se garantir une participation au système des relations internationales, ne lui a pas permis d'atteindre pleinement un équilibre des pouvoirs avec les puissances européennes ou avec les Etats-Unis. Ce n'est qu'avec la révolution maoïste et la victoire dans la guerre de Corée que la possibilité de cet objectif a commencé à se manifester.

Il est bon de rappeler que les États-Unis ont historiquement appliqué à la Chine, avant et après Mao (et bien qu'en phases alternées), une stratégie appelée "politique de la porte ouverte". Dans la période unipolaire, cette politique stratégique a pris la forme d'une sorte d'accord (théoriquement parfait) selon lequel la Chine, exportateur de biens et importateur de liquidités, prenait en charge les titres de la dette américaine, tandis que les États-Unis, consommateur et débiteur, pouvaient compter sur une suprématie militaire durable en se concentrant sur une nouvelle révolution technologique, pour laquelle la concurrence chinoise n'était même pas prise en considération. Comme le dit l'historien Aldo Giannuli : "Dans la vision néo-libérale, l'ouverture mondiale des marchés aurait dû faire de la Chine le principal centre manufacturier du système mondial, mais à condition que le fossé technologique reste constant, voire s'élargisse, et que la balance commerciale ne penche pas trop vers l'Est" [10].

Cependant, avec la crise de 2008, cette entente s'est rapidement fissurée et s'est détériorée déjà sous l'administration Obama qui, dans une tentative de se mettre à l'abri, a opté pour la stratégie géopolitique du « Pivot vers l'Asie » en relation avec le déplacement rapide du centre du commerce mondial vers l'Extrême-Orient. Une stratégie que l'administration Trump a tenté de pousser à l'extrême par une militarisation constante des mers adjacentes aux côtes chinoises et en incitant aux opérations de sabotage le long des voies de communication de la nouvelle route de la soie.

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L'erreur de jugement américaine a donc une origine beaucoup plus lointaine que ce qui est constamment proposé dans les analyses géopolitiques actuelles. Avec la traversée du fleuve Yalu et l'entrée des volontaires chinois en Corée, Pékin avait déjà envoyé un signal assez clair aux États-Unis : vous n'êtes pas les bienvenus de l'autre côté du 38e parallèle. Avec les réformes et les politiques d'ouverture de Deng Xiaoping au début des années 1980 et l'échec du soulèvement de la place Tienanmen, Pékin a envoyé un autre signal aux États-Unis : la Chine n'est plus un "espace libre" où l'on peut opérer à volonté (comme l'a fait Washington en Europe) ou divisible par des moyens économiques et des politiques d'infiltration culturelle.

L'ascension rapide de la Chine hors du "contexte libéral" et en vertu d'un système "illibéral", profondément étatiste et bien décrit également dans le nouveau plan quinquennal du PCC centré sur le principe de la double circulation (demande interne/demande externe), a envoyé un nouveau signal: la fin du système mondial centré sur les États-Unis est proche.

L'accord de libre-échange RCEP - Regional Comprehensive Economic Partnership est le premier pas vers la construction d'une sphère de coopération asiatique libérée de la présence déstabilisatrice de l'Amérique du Nord.

Il est clair qu'une telle éventualité ne sera pas acceptée de plein gré par les États-Unis. Mais aujourd'hui, Pékin, consciente de la nécessité d'un État fort, y compris en termes d'homogénéité idéologique et d'objectifs, est également bien préparée à la lutte contre l'ennemi extérieur.

index.jpgNOTES

[1] J’ai traité ce sujet dans mon livre Essere e Rivoluzione. Ontologia heideggeriana e politica di liberazione, NovaEuropa, Milano 2018.

[2]Cf. R. Khomeini, La più grande lotta. Per liberarsi dalla prigione dell’ego ed ascendere verso Dio, Irfan Edizioni, Roma 2008.

[3]Cf. F. Ratzel, Lo Stato come organismo, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 3/2018.

[4]L. Xiaofeng, Sino-Theology and the philosophy of history. A collection of essays by Liu Xiaofeng, Brill, Boston 2015, p. 99.

[5]Ibidem.

[6]L. Xiaofeng, New China and the end of the international American law, www.americanaffairsjournal.org.

[7]Cf. C. Schmitt, Il nomos della terra, Adelphi Edizioni, Milano 1991.

[8]New China and the end of the international American law, ivi cit.

[9]Ibidem.

[10]A. Giannuli, Coronavirus. Globalizzazione e servizi segreti, Ponte alle Grazie, Milano 2020, p. 236.

 

 

mercredi, 23 décembre 2020

Evola et l'espace germanophone

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Evola et l'espace germanophone

Alberto Lombardo

Ex : http://www.centrostudilaruna.it/

L'Allemagne et, en général, le monde de la culture allemande ont eu une importance centrale pour Evola. Dès son plus jeune âge, il apprend l'allemand afin d'aborder les œuvres de la philosophie idéaliste ; sa doctrine philosophique doit beaucoup à l'idéalisme, mais plus encore à Nietzsche, Weininger et Spengler. En 1933, il fait son premier voyage en Autriche ; tout au long des années 1930 et 1940, il continue à se tenir au courant des productions littéraires et philosophiques allemandes en lisant des essais scientifiques sur les différents sujets qu'il traite lui-même : de la Rome antique (Altheim) à la préhistoire (Wirth, Günther), de l'alchimie (Böhme) à la raciologie (Clauß, Günther encore), de la théorie politique (Spann, Heinrich) à l'économie (Sombart), etc. En général, compte tenu de l'appareil de notes, des références culturelles, et dans un équilibre qui tient compte de toutes les contributions, je ne pense pas du tout exagérer en affirmant que le poids des études publiées en allemand est au moins égal à celui des études italiennes dans l'ensemble de l'œuvre d'Evola.

41Dk9HPOYoL._SY445_QL70_ML2_.jpgTout cela est très révélateur de l'influence de la culture allemande sur l'œuvre d'Evola. Mais il faut ajouter d'autres données : en rappelant ici ce qui a été mentionné dans la biographie d’Evola, au premier chapitre, je me souviens de l’évocation des longs séjours d'Evola en Autriche et en Allemagne, des nombreuses conférences qui s'y sont tenues, de ses relations avec les représentants de la tradition aristocratique et conservatrice d'Europe centrale et de la révolution conservatrice, etc. En outre, dans les pays germanophones, Evola jouissait, au moins jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d'une notoriété différente de celle qu'il avait en Italie, car il y fut reçu comme l'exposant d'un courant particulier de la pensée italienne, et cela depuis 1933, année de la publication de Heidnischer Imperialismus. Voici l'opinion d'Adriano Romualdi sur le sujet : "L'action d'Evola en Allemagne n'était pas politique, même si elle a contribué à dissiper de nombreux malentendus et à préparer une entente entre le fascisme et le national-socialisme. Elle a investi le sens de ces traditions qui, en Italie et en Allemagne, ont été évoquées par les régimes, comme le symbole romain et le mythe nordique, le sens du classicisme et du romantisme, ou des oppositions artificielles, comme celle entre la romanité et le germanisme".

À partir de 1934, Evola tient des conférences en Allemagne : dans une université de Berlin, à la deuxième Nordisches Thing de Brême, et au Herrenklub de Heinrich von Gleichen, représentant de l'aristocratie allemande (il était baron) avec lequel il noue une "amitié cordiale et fructueuse". Evola a rappelé cette expérience importante en 1970 : « Chaque semaine, une personnalité allemande ou internationale était invitée à ce club de Junkers. Je dois dire, cependant, que si nous nous étions attendus à voir des géants blonds aux yeux bleus, la déception aurait été grande, car pour la plupart, ils étaient petits et ventrus. Après le dîner et le rituel des toasts, l'invité devait donner une conférence. Pendant que ces messieurs fumaient leurs cigares et sirotaient leurs verres de bière, j'ai parlé. C'est alors qu'Himmler a entendu parler de moi ».

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Il est en effet très probable que l'attention des milieux officiels pour Evola soit née après ses premières conférences en Allemagne. Ses relations avec le national-socialisme étaient ceux d’une collaboration externe, et surtout avec divers secteurs de la SS, dont l'Ahnenerbe ; Evola a exprimé des paroles très positives à l'égard de "l'ordre" dirigé par Himmler, même dans l'après-guerre, ce qui lui a valu, d'une part, la critique prévisible de ses détracteurs et, d'autre part a conduit à une réinterprétation - dans l'historiographie et le même "sentiment mondial" de la droite radicale d'après-guerre - du national-socialisme en tant que mouvement populaire dirigé par une élite guerrière-ascétique. Des nombreuses données d'archives publiées aujourd'hui, il ressort une image d'Evola qui a été prise en considération mais toujours soigneusement observée par les milieux officiels allemands.

Après la guerre mondiale, la renommée d'Evola dans les pays germanophones a diminué; son immobilité physique semble l'avoir empêché, entre autres, de poursuivre ses voyages à l'étranger. Ce n'est qu’au cours de ces dernières décennies qu'Evola a fait l'objet d'une sorte de redécouverte, grâce surtout à Hans Thomas Hansen, qui a traduit (et retraduit) une bonne partie de ses œuvres, avec le consentement d'Evola lorsqu'il était encore en vie, et qui est considéré à juste titre comme l'un des plus grands connaisseurs de la pensée et de la vie d'Evola. Outre la revue fondée et animée par Evola, Gnostika (qui, comme son titre l'indique, a des intérêts essentiellement ésotériques), ces dernières années, diverses activités sont nées qui s'inspirent de diverses manières de l'œuvre d'Evola, parmi lesquelles méritent d'être mentionnées les revues allemandes Elemente et Renovatio Imperii et surtout la revue autrichienne Kshatriya, dirigée par Martin Schwarz (auteur de la bibliographie la plus complète d'Evola à ce jour), avec une empreinte "d’orthodoxie évolienne" plus marquée. En outre, des conférences sur le penseur et des traductions de ses autres œuvres commencent s’organiser.

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En outre, le centenaire de la naissance d'Evola, en 1998, a été l'occasion pour diverses publications allemandes de se souvenir de lui avec de nombreux articles, parmi lesquels ceux qui ont été publiés dans la revue Nation & Europa (qui a été publié pendant un demi-siècle, et auquel Evola lui-même a collaboré au début des années 50), Criticon et la prestigieuse Zeitschrift für Ganzheitforschung, autre revue à laquelle Evola a contribué (au début des années 60) et qui a été fondée et dirigée pendant longtemps par Walter Heinrich (jusqu'à sa mort en 1984), qui était un grand ami d'Evola. Par curiosité, nous tenons à signaler que pour l'occasion, de nombreux groupes et ensembles musicaux allemands et autrichiens ont consacré un disque à l'écrivain traditionaliste, intitulé Riding the Tiger.

* * *

Bien que certains éléments politiques de l'histoire de l'Italie et de l'Allemagne semblent similaires (le processus d'unification nationale dans la seconde moitié du XIXe siècle, la participation commune à la Triple Alliance, l'Axe Rome-Berlin), Evola identifie dans la "tradition germanique" des traits qui différencient clairement - dans un sens positif - les pays germanophones de l'Italie. Ainsi, tout d'abord, "on peut dire qu'en Allemagne, le nationalisme démocratique de masse de type moderne n'a fait qu'une apparition fugace. […]. Le nationalisme en ce sens, sur fond démocratique, n'a pas dépassé le phénomène éphémère du parlement de Francfort de 1848, en liaison avec les soulèvements révolutionnaires qui, à cette époque, faisaient rage dans toute l'Europe (il est significatif que le roi de Prusse Frédéric Guillaume IV ait refusé l'offre, qui lui avait été faite par ce parlement, de devenir le chef de toute l'Allemagne car en l'acceptant, il aurait également accepté le principe démocratique - le pouvoir conféré par une représentation populaire – l’obligeant à renoncer à son droit légitime, même s'il était limité à la seule Prusse). Et Bismarck, en créant le second Reich, ne lui a pas du tout donné une base "nationale", voyant dans l'idéologie correspondante le principe de désordres dangereux pour l'ordre européen, tandis que les conservateurs du Kreuzzeitung accusaient le nationalisme d'être un phénomène "naturaliste" et régressif, étranger à une tradition et à une conception supérieures de l'État". En marge de cette forme "naturaliste" de nationalisme, les pays germanophones ont cultivé un esprit différent, celui du Volk, qui a animé l'esprit pangermanique. Le courant Völkisch, qui a également joué un rôle considérable dans la genèse du national-socialisme, trouve ses racines dans les discours de Fichte à la nation allemande, dans Arndt, Jahn et Lange et surtout dans le Deutschbund et la Deutsche Bewegung . C'est dans cette diversité d'origines que nous avons le premier écart entre l'Italie et l'Allemagne.

unnamedjessd.jpgMais les différences, du point de vue de l’environnement, sont beaucoup plus marquées. Dans son essai sur le Troisième Reich, qui décrit les courants culturels complexes et souvent irréductibles qui ont coopéré à sa genèse, Evola écrit : "Après la Première Guerre mondiale, la situation en Allemagne était nettement différente de celle de l'Italie. [...] Mussolini a dû créer presque tout à partir de rien, en ce sens qu'au moment de combattre la subversion rouge et de remettre l'État sur pied, il ne pouvait pas se référer à une tradition au sens le plus élevé du terme. Tout bien considéré, ce qui était menacé n'était que l'extension de l'Italie démocratique du XIXe siècle, avec un héritage du Risorgimento influencé par les idéologies de la Révolution française, avec une monarchie qui régnait mais ne gouvernait pas et n’avait pas d’articulations sociales solides. En Allemagne, les choses étaient différentes. Même après l'effondrement militaire et la révolution de 1918, et malgré le marasme social, il y avait encore des vestiges profondément enracinés dans ce monde hiérarchique, parfois encore féodal, centré sur les valeurs de l'État et de son autorité, faisant partie de la tradition précédente, en particulier du prussianisme. […]. En fait, en Europe centrale, les idées de la Révolution française n'ont jamais pris autant d'ampleur que dans les autres pays européens" .

A une occasion bien précise, Evola mentionne la théorie juridique du droit international de Carl Schmitt. Le philosophe politique allemand avait exprimé l'idée de l'effondrement du droit international coutumier européen (ius publicum europaeum), qui s'est produit, approximativement, après 1890, et l'affirmation conséquente d'un droit international plus ou moins formalisé. Ici, cependant, nous ne sommes pas entièrement de l'avis de Schmitt", écrit Evola, expliquant que "contrairement à l'opinion de beaucoup, en ce qui concerne l'action menée par Bismarck, tant en Allemagne qu'en Europe, tout n'est pas "en ordre". […]. Plus que Bismarck, il nous semble que Metternich a été le dernier "Européen", c'est-à-dire le dernier homme politique qui ait su ressentir le besoin d'une solidarité entre toutes les nations européennes qui ne soit pas abstraite, ou dictée uniquement par des raisons de politique "réaliste" et d'intérêts matériels, mais qui fasse également référence aux idées et à la volonté de maintenir le meilleur héritage traditionnel de l'Europe". Contrairement à Baillet, Evola était donc plutôt critique à l'égard de Bismarck, qui n'avait pas, selon la vision traditionnelle des évoliens, le courage de s'opposer de manière systématique et rigoureuse au monde moderne et à la subversion (sous sa forme économico-capitaliste), mais devait dans certains cas s'y résoudre.

411o7TsazkL.jpgLa même Allemagne de Frédéric II puis de Guillaume II, tout en conservant les structures et l'ordre d'un État traditionnel (Obrigkeitsstaat), dans lequel la même bureaucratie et le même appareil d'État apparaissaient presque comme les organes d'un ordre, contenait les germes de la dissolution, due aux idées des Lumières qui avaient commencé à filtrer - de façon plus subtile qu'ailleurs - dans les différentes instances. Si le jugement d'Evola sur le code de Frédéric, préservant l'ordre divisé en Stände est positif, c'est parce que, pour l'époque où il a été créé, ce code a mieux préservé que tout autre les structures féodales et hiérarchiques précédentes. Celles-ci, à travers la tradition prussienne, s'enracinent dans l'Ordre des Chevaliers Teutoniques et leur reconquête des terres baltes : un ordre ascético-chevaleresque formé par la discipline et une organisation hiérarchique stricte. Ainsi, dès son plus jeune âge, Evola pressent l'absurdité de la "guerre civile européenne" qu'il va devoir néanmoins mener, en tant que très jeune officier, à la frontière austro-italienne, celle du Karst : l'Italie prend parti contre ce qui reste de la meilleure tradition européenne. "En 1914, les Empires centraux représentaient encore un vestige de l'Europe féodale et aristocratique dans le monde occidental, malgré des aspects indéniables d'hégémonie militariste et quelques alliances suspectes avec le capitalisme présent surtout dans l'Allemagne wilhelminienne. La coalition contre eux était ouvertement une coalition du Troisième pouvoir contre les forces résiduelles du Deuxième pouvoir [...]. Comme peu d'autres dans l'histoire, la guerre de 1914-1918 présente toutes les caractéristiques d'un conflit non pas entre États et nations, mais entre les idéologies de différentes castes. Les résultats directs et attendus ont été la destruction de l'Allemagne monarchique et de l'Autriche catholique, les résultats indirects l'effondrement de l'empire du tsar, la révolution communiste et la création, en Europe, d'une situation politico-sociale si chaotique et contradictoire qu'elle contenait toutes les prémisses d'un nouvel embrasement. Et ce fut la Seconde Guerre mondiale" .

Comme mentionné ci-dessus, Evola a exprimé une opinion nettement positive sur la tradition autrichienne. La ligne dynastique continue des Habsbourg a joué un rôle important dans cette évaluation (Evola s'était exprimé en termes très positifs envers Maximilien Ier) ; dans la période où il vivait à Vienne, Evola a respiré ce qui restait de l'ancienne atmosphère de la Felix Austria (de « l’Autriche heureuse », et il est entré en contact avec ce climat culturel et spirituel et surtout avec des hommes chez qui, pour reprendre les mots d'Ernst Jünger, "la catastrophe avait certes quitté ses ombres [...], mais elle s'était limitée à en effacer la sérénité innée sans la détruire. On pouvait parfois voir [...] une patine de cette souffrance que l'on pourrait appeler autrichienne et qui est commune à tant de vieux sujets de la dernière vraie monarchie. Avec elle, on a détruit une forme de plaisir de vivre qui était inimaginable dans d'autres pays européens depuis des générations, et les traces de cette destruction se font encore sentir chez les individus. […]. Ici, dans le Reich, si l'on ne tient pas compte de l'épuisement général des forces, on commence tout au plus à constater la disparité des couches sociales ; ici, en revanche, les différences entre les différentes ethnies s'ouvrent comme des gouffres".

fotografia(6)95.jpgDans cet humus historique des années de l'entre-deux-guerres, dans lequel les liens sentimentaux et éthiques de beaucoup avec la tradition impériale précédente étaient encore forts - la monarchie des Habsbourg d'Autriche avait au moins formellement conservé, jusqu'au Congrès de Vienne, la propriété du Saint Empire romain - Evola a également eu l'occasion de percevoir directement l'attachement populaire généralisé à la monarchie, et de l'expliquer en ces termes : "Sans exhumer des formes anachroniques, au lieu d'une propagande qui "humanise" le souverain pour captiver les masses, presque sur le modèle de la propagande américaine pour les élections présidentielles, il faut voir dans quelle mesure les traits d'une figure caractérisée par une certaine supériorité et dignité innées peuvent avoir une action profonde, dans un cadre approprié. Une sorte d'ascétisme et de liturgie du pouvoir pourrait jouer un rôle ici. Précisément ces traits, s'ils renforceront le prestige de celui qui incarne un symbole, devraient pouvoir exercer sur l'homme grossier une force d'attraction, voire une fierté à l'égard du sujet. En outre, même à une époque assez récente, nous avons eu l'exemple de l'empereur François-Joseph qui, tout en plaçant entre lui et ses sujets le vieux cérémonial sévère, sans pour autant imiter du tout les rois "démocratiques" des petits États du Nord, jouissait d'une popularité particulière, non vulgaire". Dans la même veine, en 1935, écrivant sur la possibilité d'une restauration impériale en Autriche, Evola rapporte ce que les représentants de la pensée conservatrice et monarchique dans ce pays préconisaient : "Le postulat, quant à lui, est celui auquel tout esprit non encombré de préjugés peut également adhérer, à savoir que le régime monarchique, en général, est celui qui peut le mieux garantir un ordre, un équilibre et une pacification intérieure, sans avoir à recourir au remède extrême de la dictature et de l'État centralisé, à condition qu'il subsiste chez les individus la sensibilité spirituelle requise par tout loyalisme. Cette condition, selon ces personnalités, serait présente dans la majeure partie de la population autrichienne, ne serait-ce que pour la force d'une tradition et d'un mode de vie pluriséculaire".

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Le problème de l'Anschluss, de l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne nationale-socialiste, a été, dans les années qui l'ont précédé, au centre d'un vaste débat international. Les juristes et les hommes politiques l'ont abordée sous des angles différents ; Evola n'était pas d'accord sur ce point avec son ami Othmar Spann, qui, écrit Evola, n'était apprécié ni en Autriche ni en Allemagne pour la courageuse cohérence de ses idées. En parlant du sociologue viennois, Evola a déclaré : "Les Autrichiens ne lui pardonnent pas ses sympathies pour l'Allemagne, tandis que les Allemands ne lui pardonnent pas les critiques qu'il a formulées à l'encontre du matérialisme raciste". Elargissant son regard à l'école organiciste viennoise et au monde culturel autrichien, Evola a exposé ses vues en ces termes : "On ne peut pas se résigner à abaisser une nation, qui a la tradition que l'Autriche a eue, au niveau d'un petit Etat balkanique. Ce n'est pas une simple question d'autonomie politique, c'est essentiellement une question de culture et de tradition. Historiquement, la civilisation autrichienne est inséparable de la civilisation germanique. Il n'est pas possible aujourd'hui pour l'Autriche de s'émanciper à cet égard et de commencer à suivre sa propre voie. C'est précisément parce qu'elle est paralysée, réduite à l'ombre de son ancien moi, qu'elle est obligée de se lier le plus étroitement possible à l'Allemagne, de s'appuyer sur elle, d'en tirer les éléments qui peuvent garantir l'intégrité de son patrimoine allemand". Evola a poursuivi en affirmant que, du côté positif, l'Autriche aurait à son tour beaucoup à transmettre à l'Allemagne en termes de tradition culturelle. Mais au-delà du niveau purement intellectuel, "Dans le domaine des traditions politiques, l'antithèse est encore plus visible. Il faut demander à ces intellectuels germanophiles ce qu'ils entendent par tradition germano-autrichienne. La tradition autrichienne était une tradition impériale. Héritier du Saint-Empire romain, le Reich autrichien, du moins formellement, ne pouvait pas se dire allemand. En droit, elle était supranationale, et en fait elle négligeait un groupe de peuples dont la race, les coutumes et les traditions étaient très différentes, un groupe dont l'élément allemand ne constituait qu'une partie. Il n'est pas non plus nécessaire de dire que la direction de l'Empire autrichien avait néanmoins un caractère allemand et était dirigée par une dynastie germanique. Du point de vue des principes, cela compte aussi peu que le fait que les représentants du principe supranational de l'Église romaine étaient en grande partie italiens. Si l'on doit parler d'une tradition autrichienne, conclut Evola, c'est à une tradition impériale qu'il faut se référer. Maintenant, qu'est-ce qu'une telle tradition peut avoir à faire avec l'Allemagne, si l'Allemagne signifie aujourd'hui le national-socialisme" . Francesco Germinario a écrit à ce propos que pour Evola "une Autriche liée à ses racines catholiques, et dans laquelle, surtout, la mémoire des Habsbourg est restée vivante, était beaucoup plus proche des valeurs de la Tradition qu'une Allemagne submergée par la nouvelle vague de modernisation promue par le nazisme".

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Les positions critiques d'Evola à l'égard du nazisme s'exprimaient déjà en ces termes en 1935, dont le philosophe traditionaliste accusait les excès populistes, sociaux et gauchistes. Le ton est particulièrement critique dans ce cas, car la comparaison est avec l'Autriche, en laquelle Evola a vu précisément l'héritière spirituelle de la plus haute tradition européenne. D'autre part, c'est une ligne d'interprétation et d'historiographie appréciable, et qu'Evola a maintenue même dans l'après-guerre, tendant à séparer les différents éléments et les divers courants qui opéraient dans le national-socialisme pour les juger séparément. Il a conclu sa lecture politique de la situation internationale en déclarant : "Si l'on ne veut pas se résigner à la perte de l'ancienne tradition supranationale d'Europe centrale, l'Autriche devrait tourner son regard non pas tant vers l'Allemagne que vers les États qui lui succéderont, en ce sens qu'elle devrait voir dans quelle mesure il est possible de reconstruire une conscience commune d'Europe centrale comme base non seulement pour la solution de problèmes économiques et commerciaux très importants mais éventuellement [...] aussi pour la formulation d'un nouveau principe politique unitaire de type traditionnel".

En ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, dont l'issue est sans doute considérée par Evola comme la dernière phase de l'effondrement de la civilisation européenne, l'écrivain traditionaliste dénonce les fautes morales des puissances occidentales : "Himmler a été responsable d'une tentative de sauvetage in extremis (considérée par Hitler comme une trahison). Par l'intermédiaire du comte Bernadotte, il a transmis une proposition de paix séparée aux Alliés occidentaux afin de pouvoir poursuivre la guerre uniquement contre l'Union soviétique et le communisme. On sait que cette proposition, qui, si elle avait été acceptée, aurait peut-être pu assurer un destin différent à l'Europe, en évitant la "guerre froide" qui a suivi et la communisation de l'Europe au-delà du "rideau de fer", a été clairement rejetée sur la base d'un radicalisme idéologique aveugle, tout comme l'offre de paix faite par Hitler, de sa propre initiative, à l'Angleterre en des termes raisonnables dans un célèbre discours de l'été 1940, lorsque les Allemands étaient le camp vainqueur.

71g63lXeJ6L.__BG0,0,0,0_FMpng_AC_UL320_SR218,320_.pngMême après la Seconde Guerre mondiale, Evola a gardé un œil sur les pays germanophones. Sa vision était celle d'une admiration pour la nouvelle résurrection économique opérée par les Allemands après être sortie du champs de ruines qu’elle était dans la seconde période de l'après-guerre ("cette nation a pu se relever complètement d'une destruction sans nom. Même sous l'occupation, elle a surpassé les nations victorieuses elles-mêmes sur le plan industriel et économique et a repris sa place de grande puissance productrice"). et pour le courage avec lequel la République fédérale avait banni le danger communiste de sa politique ("Les Allemands font toujours les choses avec cohérence. Donc aussi dans le jeu de la conformité démocratique. Ils ont mis en place une démocratie modèle comme un système "neutre" - nous dirions presque administratif, plutôt que politique - à la fois équilibré et énergique. Contrairement à l'Italie, l'Allemagne, précisément du point de vue d'une démocratie cohérente, a proscrit le communisme. La Cour constitutionnelle allemande a statué ce qui correspond à l'évidence même des choses, à savoir qu'un parti qui, comme le parti communiste, ne suit les règles démocratiques que dans une fonction purement tactique et de couverture, ayant pour objectif final déclaré la suppression de tout courant politique opposé et l’avènement de la dictature absolue du prolétariat, ne peut être toléré par un État démocratique qui ne veut pas creuser sa propre tombe") . Mais, malgré cela, la guerre avait alors produit un vide, un vide spirituel qui n'était plus comblé : "Contre tout cela, il est surprenant, en République fédérale, l'absence de toute idée, de tout "mythe", de toute vision supérieure du monde, de toute continuité avec l'Allemagne précédente". Toujours dans le domaine de la culture, Evola constate un glissement général, une sorte d'"échec" général aux positions courageuses et avant-gardistes des intellectuels allemands dans les années - selon Evola, très prospères et rentables sous le profil culturel - du Reich national-socialiste. Dans son jugement négatif, Evola prend comme exemple de cet effondrement Gottfried Benn et Ernst Jünger (tombant avec cela dans des erreurs de vue assez grossières).

* * *

Extrait de Via della Tradizione 125 (2002), pp. 37-50.

Cet article a été republié sans les notes de bas de page.

lundi, 21 décembre 2020

Heidegger Against the Traditionalists

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Heidegger Against the Traditionalists

Ex: http://www.counter-currents.com

1. Introduction

Those on the New Right are bound together partly by shared intellectual interests. Ranking very high indeed on any list of those interests would be the works of Martin Heidegger and those of the Traditionalist [1] [2] school, especially René Guénon and Julius Evola. My own work has been heavily influenced by both Heidegger and Traditionalism. Indeed, my first published essay (“Knowing the Gods [3]”) was strongly Heideggerian, and appeared in the flagship issue of Tyr [4], a journal that describes itself as “radical traditionalist,” and that I co-founded. This is just one example; many of my essays have been influenced by both schools of thought.

In my work, I have made the assumption that Heidegger’s philosophy and Traditionalism are compatible. This assumption is shared by many others on the Right, to the point that it is sometimes tacitly believed that Heidegger was some kind of Traditionalist, or that Heidegger and the Traditionalists had common values and, perhaps, a common project. These assumptions have never really been challenged, and it is high time to do so. The present essay puts into question the Heidegger-Traditionalism relationship.

Doing so will allow us to accomplish three things, at least:

(a) Arrive at a better understanding of Heidegger. This is vital, for my own study of Heidegger (in which I have been engaged, off and on, for over thirty years) has convinced me that he is not only the essential philosopher for the New Right, he is the only great philosopher of the last hundred years — and quite possibly the greatest philosopher who ever lived. I don’t make such claims lightly, and feel that I have only recently come to truly appreciate how much we need Heidegger. Yet reading Heidegger is extremely difficult. The present essay will help to clarify his thought by putting it into dialogue with the Traditionalists, whose writings are much more accessible, and much more familiar to my readers.

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(b) Arrive at a better understanding of Traditionalism. We will find that in important ways Heidegger’s thought is not compatible with Traditionalism. The reason for this is that from a Heideggerian perspective Traditionalism is fundamentally flawed: it is thoroughly (and naïvely) invested in the Western metaphysical tradition which, according to Heidegger, sets the stage for modernity. In other words, because Traditionalism uncritically accepts the validity of Western metaphysical categories, it buys into some of the foundational assumptions of modernity. In the end, Traditionalism has to be judged a thoroughly modern movement, an outgrowth of the very epoch reviled by the Traditionalists themselves. All this, again, becomes clear only if we view Traditionalism, and Western intellectual history, from a Heideggerian perspective. I will argue that that perspective is correct. Thus, part of the purpose of this essay is to convince those on the Right that they need to take a more critical approach to Traditionalism.

(c) Arrive at a new philosophical approach. Although I will argue that Heidegger and Traditionalism are not compatible, the case can nonetheless be made that Heidegger is a traditionalist of sorts, and that, for Heidegger, something like a “primordial tradition” does indeed exist (though it is markedly different from the conceptions of Guénon and Evola). In short, through an engagement with Heidegger’s thought, and how it would respond to Traditionalism, we can arrive at a more adequate traditionalist perspective — one that shares a great many of the values and beliefs of Guénon and Evola, while placing these on a surer philosophical footing. In turn, I will also show that there are limits to Heidegger’s own approach, and that it is flawed in certain ways. Here we achieve a perfect symmetry, for these flaws are perceptible from a traditionalist perspective, broadly speaking. What I will have to say on this latter topic will also be of great interest to anyone influenced by Ásatrú, or the Germanic pagan revivalist movement.

In the end, we will not arrive simply at a fusion of Heidegger and Traditionalism, since both are transformed through the dialogue into which I put them. We will arrive instead at a new philosophical perspective, a new beginning and a new “program” for Western philosophy, one that has rejected Western metaphysics and that seeks to prepare the way for something yet to come, something beyond the modern and the “post-modern.” This new beginning is possible because the groundwork was laid by Heidegger, Guénon, and Evola (to name only three).

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The project described above is quite ambitious, and it cannot be carried out in a single essay. Thus, the present text is the first in a series of several projected essays. (The outline of the series is presented as an Appendix, at the end of this essay.) Here, I will limit myself to a basic survey of Heidegger in relation to Traditionalism, his knowledge of Traditionalist writings, and the criticisms he would likely have leveled against this school of thought.

2. Anti-Modernism in Heidegger and the Traditionalists

The primary reason Heidegger gets associated with Guénon and Evola is that all three were trenchant critics of modernity. Heidegger and the Traditionalists hold that modernity is a period of decline, that it is a falling away from an “originary” [2] [5] position that was qualitatively different, and immeasurably superior. Further, the terms in which these authors critique modernity are often remarkably similar.

Consider these lines from Heidegger’s Introduction to Metaphysics, worth quoting at length because they sound like they could have come straight out of Guénon’s The Reign of Quantity and Signs of the Times:

When the farthest corner of the globe has been conquered technologically and can be exploited economically; when any incident you like, at any time you like, becomes accessible as fast as you like; when you can simultaneously “experience” an assassination attempt against a king in France and a symphony concert in Tokyo; when time is nothing but speed, instantaneity, and simultaneity, and time as history has vanished from all Dasein of all peoples; when a boxer counts as the great man of a people; when the tallies of millions at mass meetings are a triumph; then, yes then, there still looms like a specter over all this uproar the question: what for? — where to? — and what then? The spiritual decline of the earth has progressed so far that peoples are in danger of losing their last spiritual strength, the strength that makes it possible even to see the decline [which is meant in relation to the fate of “Being”] and to appraise it as such. This simple observation has nothing to do with cultural pessimism — nor with any optimism either, of course; for the darkening of the world, the flight of the gods, the destruction of the earth, the reduction of human beings to a mass, the hatred and mistrust of everything creative and free has already reached such proportions throughout the whole earth that such childish categories as pessimism and optimism have long become laughable. [3] [6]

In a later passage, Heidegger emphatically reiterates much of this: “We said: on the earth, all over it, a darkening of the world is happening. The essential happenings in this darkening are: the flight of the gods, the destruction of the earth, the reduction of human beings to a mass, the preeminence of the mediocre.” [4] [7] Consider also this passage:

All things sank to the same level, to a surface resembling a blind mirror that no longer mirrors, that casts nothing back. The prevailing dimension became that of extension and number. To be able — this no longer means to spend and to lavish, thanks to lofty overabundance and the mastery of energies; instead, it means only practicing a routine in which anyone can be trained, always combined with a certain amount of sweat and display. In America and Russia, then, this all intensified until it turned into the measureless so-on and so-forth of the ever-identical and the indifferent, until finally this quantitative temper became a quality of its own. By now in those countries the predominance of a cross-section of the indifference is no longer something inconsequential and merely barren but is the onslaught of that which aggressively destroys all rank and all that is world-spiritual, and portrays these as a lie. This is the onslaught of what we call the demonic [in the sense of the destructively evil]. [5] [8]

Finally, let us consider a passage from a later text, What Is Called Thinking? (1953):

The African Sahara is only one kind of wasteland. The devastation of the earth can easily go hand in hand with a guaranteed supreme living standard for man, and just as easily with the organized establishment of a uniform state of happiness for all men. Devastation can be the same as both, and can haunt us everywhere in the most unearthly way — by keeping itself hidden. Devastation does not just mean a slow sinking into the sands. Devastation is the high-velocity expulsion of Mnemosyne. The words, “the wasteland grows,” come from another realm than the current appraisals of our age. Nietzsche said, “the wasteland grows” nearly three quarters of a century ago. And he added, “Woe to him who hides wastelands within.” [6] [9]

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These passages give a fairly good summation of the essentials of Heidegger’s critique of modernity, which is worked out in much greater detail in his entire oeuvre. (Arguably, Heidegger’s confrontation with modernity is the central feature of his entire philosophy.) We may note here, especially, four major points. [7] [10] I will set these out below, along with quotations from Guénon’s Reign of Quantity, for comparison:

(a) The predominance of the “quantitative” in modernity; the triumph of the quantitative over the qualitative:

Guénon: “The descending movement of manifestation, and consequently that of the cycle of which it is an expression, takes place away from the positive or essential pole of existence toward its negative or substantial pole, and the result is that all things must progressively take on a decreasingly qualitative and an increasingly quantitative aspect; and that is why the last period of the cycle must show a very special tendency toward the establishment of a ‘reign of quantity.’” [8] [11]

(b) The cancellation of distance in the modern period; the increasing “speed” of modernity:

Guénon: “[Events] are being unfolded nowadays with a speed unexampled in the earlier ages, and this speed goes on increasing and will continue to increase up to the end of the cycle; there is thus something like a progressive ‘contraction’ of duration, the limit of which corresponds to the ‘stopping-point’ previously alluded to; it will be necessary to return to a special consideration of these matters later on, and to explain them more fully.” [9] [12]

And:

“The increase in the speed of events, as the end of the cycle draws near, can be compared to the acceleration that takes place in the fall of heavy bodies: the course of the development of the present humanity closely resembles the movement of a mobile body running down a slope and going faster as it approaches the bottom . . .” [10] [13]

(c) Modernity’s leveling effect; the destruction of an order of rank:

Guénon: “It is no less obvious that differences of aptitude cannot in spite of everything be entirely suppressed, so that a uniform education will not give exactly the same results for all; but it is all too true that, although it cannot confer on anyone qualities that he does not possess, it is on the contrary very well fitted to suppress in everyone all possibilities above the common level; thus the ‘leveling’ always works downward: indeed, it could not work in any other way, being itself only an expression of the tendency toward the lowest, that is, toward pure quantity . . .” [11] [14]

(d) Modernity’s reduction of everything to uniformity:

Guénon: “A mere glance at things as they are is enough to make it clear that the aim is everywhere to reduce everything to uniformity, whether it be human beings themselves or the things among which they live, and it is obvious that such a result can only be obtained by suppressing as far as possible every qualitative distinction . . .” [12] [15]

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In later works, Heidegger explicitly ties modernity’s will towards uniformity to the “mechanization” of human beings. The spirit of technology becomes so totalizing that finally human beings themselves are “requisitioned” (to use a Heideggerian expression) and integrated as subsidiary mechanisms within the vast machine of modernity. In this connection, consider this passage from Guénon, worth quoting at length:

Servant of the machine, the man must become a machine himself, and thenceforth his work has nothing really human in it, for it no longer implies the putting to work of any of the qualities that really constitute human nature. The end of all this is what is called in present-day jargon ‘mass-production,’ the purpose of which is only to produce the greatest possible quantity of objects, and of objects as exactly alike as possible, intended for the use of men who are supposed to be no less alike; that is indeed the triumph of quantity, as was pointed out earlier, and it is by the same token the triumph of uniformity. These men who are reduced to mere numerical ‘units’ are expected to live in what can scarcely be called houses, for that would be to misuse the word, but in ‘hives’ of which the compartments will all be planned on the same model, and furnished with objects made by ‘mass-production,’ in such a way as to cause to disappear from the environment in which the people live every qualitative difference. [13] [16]

One last quotation from Guénon: “Man ‘mechanized’ everything and ended at last by mechanizing himself, falling little by little into the condition of numerical units, parodying unity, yet lost in the uniformity and indistinction of the ‘masses,’ that is, in pure multiplicity and nothing else. Surely that is the most complete triumph of quantity over quality that can be imagined.” [14] [17]

It would be pointless to amass further such quotations from Guénon since his work is replete with them — and since many of my readers are much more familiar with Guénon’s work than with Heidegger’s. It would be equally pointless to quote the many virtually identical observations from Evola (who is probably much more familiar to my readers even than Guénon). A substantial amount of Evola’s work is occupied with elaborating and extending Guénon’s critique of modernity, to which Evola devoted entire volumes (e.g., Revolt Against the Modern World, Ride the Tiger, Men Among the Ruins, etc.). However, their positions diverge when Evola advocates that the superior man respond to modernity by “riding the tiger” (i.e., utilizing certain negative elements of the modern world, which might destroy lesser men, for the positive purpose of self-realization).

3. The Evola Quotation in Heidegger’s Nachlass

The foregoing has hopefully demonstrated to the reader that Heidegger and Guénon held strikingly similar views on modernity. Although Heidegger knew individuals who respected Guénon (e.g., Carl Schmitt and Ernst Jünger), no evidence has emerged that Heidegger actually read Guénon’s work. Very recently, however, evidence has emerged that Heidegger read Evola. However, far from supporting the idea that Heidegger was influenced by Evola or sympathetic to him, an examination of this evidence will demonstrate exactly where Heidegger parts company with Traditionalism. [15] [20]

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Amongst Heidegger’s Nachlass (the papers left behind after his death) a handwritten note has been found in which the philosopher quotes a passage from Friedrich Bauer’s 1935 German translation of Revolt Against the Modern World (Erhebung wider die moderne Welt). Here is the passage as Heidegger copied it out:

Wenn eine Rasse die Berührung mit dem, was allein Beständigkeit hat und geben kann — mit der Welt des Seyns — verloren hat, dann sinken die von ihr gebildeten kollektiven Organismen, welches immer ihre Größe und Macht sei, schicksalhaft in die Welt der Zufälligkeit herab.

And here is a translation:

When a race has lost contact with what alone has and can give it permanence [or “stability,” Beständigkeit] — with the world of Beyng [Seyns] then the collective organisms formed by it, whatever be their greatness and power, are destined to sink down into the world of contingency.

For comparison, here is the entire passage from Bauer’s text:

Wenn eine Rasse die Berührung mit dem, was allein Beständigkeit hat und geben kann — mit der Welt des “Seins” — verloren hat, dann sinken die von ihr gebildeten kollektiven Organismen, welches immer ihre Größe und Macht sei, schicksalhaft in die Welt der Zufälligkeit herab: werden Beute des Irrationalen, des Veränderlichen, des “Geschichtichen,” dessen, was von unten und von außen her bedingt ist. [16] [21]

We immediately notice two things when Heidegger’s handwritten version is compared to the original. First, Heidegger has rendered Sein as Seyn. [17] [22] Second, Heidegger replaces a colon with a period and omits the last part of the sentence entirely. The part after the colon can be translated as follows: “[to] become prey to the irrational, the changeable, the ‘historical,’ of what is conditioned from below and from the outside.” Why did Heidegger make these changes? Fully answering this question will allow us to see that Heidegger actually rejects Evola’s Traditionalism in the most fundamental terms possible.

First of all, it is likely that this undated note comes from sometime in the 1930s. During this time, Heidegger began utilizing Seyn, an archaic German spelling of Sein (Being). [18] [23] But why? What did this signify? It was not simply eccentricity on Heidegger’s part. By Seyn, Heidegger meant something distinct from Sein, which refers to the Being that beings have (“Being as such”). Seyn instead refers to what Heidegger calls elsewhere “the clearing” (die Lichtung). This metaphorical expression refers to a clearing in a forest, which allows light to enter in and illuminate what stands within the clearing. Thomas Sheehan describes Heidegger’s clearing as “the always already opened-up ‘space’ that makes the being of things (phenomenologically: the intelligibility of things) possible and necessary.” [19] [24] The clearing is what “gives” Being.

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Heidegger writes in “The End of Philosophy and the Task of Thinking” (1964):

The forest clearing is experienced in contrast to dense forest, called Dickung in our older language. The substantive “opening” [Lichtung] goes back to the verb “open” [lichten]. The adjective licht “open” is the same word as “light.” To open something means: to make something light, free and open, e.g., to make the forest free of trees at one place. The openness thus originating is the clearing. . . . Light can stream into the clearing, into its openness, and let brightness play with darkness in it. But light never first creates openness. Rather, light presupposes openness. However, the clearing, the opening, is not only free for brightness and darkness, but also for resonance and echo, for sounding and the diminishing of sound. The clearing is the open region for everything that becomes present and absent. . . . What the word [opening] designates in the connection we are now thinking, free openness, is a “primal phenomenon” [Urphänomenon], to use a word of Goethe’s. [20] [25]

Consider a simple example. I approach an unfamiliar object sitting on my doorstep. I cannot place it; try as I might it remains a mystery. But as I approach closer still, all is revealed: I see now that it is an Amazon box. In this moment, what has occurred is that the Being of the object — what it is, what its meaning is — becomes present to me. [21] [26] In order for this to be possible at all, I must bear within me a certain special sort of “openness,” within which the Being of something makes itself known or makes itself present. [22] [27]

Contrary to how empiricists tend to conceive things, I don’t actually experience myself as hanging a label onto the object or slotting it within a mental category. This is an analysis after the fact of experience, not what I actually experience. If we are truer to the phenomenon than the empiricists (i.e., if we are good phenomenologists) we have to report that the experience is actually one in which the Being of the thing seems to “come forth,” or to display itself as we explore the object. But, again, this is only possible because of the “openness” referred to earlier. In this openness, Being displays itself; it is “lit up” within the space of the metaphorical “clearing.”

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Thus, for Heidegger it is possible to speak of something deeper or more ultimate than Being itself (hence, an Urphänomenon): that which allows our encounter with the Being of beings in the first place; the open clearing. When Heidegger famously refers to “the forgottenness of Being” (Vergessenheit des Seins) he is actually referring to the forgottenness of the clearing. [23] [28] The clearing is forgotten in the sense that we have forgotten that in virtue of which Being is given to us. As I will discuss later, Heidegger holds that the Western metaphysical tradition, beginning with the Pre-Socratics, systematically forgets the clearing, and he traces all of our modern ills to this forgetting. He writes: “In fact, the history of Western thought begins, not by thinking what is most thought-provoking, but by letting it remain forgotten.” [24] [29]

Now, by contrast, when Evola speaks of “the world of being” (Welt des Seins; mondo di essere) in this passage and elsewhere, he is referring to a Platonic realm of timeless essences that are the true beings, in contrast to the changeful, impermanent terrestrial beings we encounter with the five senses. Traditionalism is heavily dependent on this Platonic metaphysics. Consider, for example, Evola’s words from the very beginning of Revolt:

In order to understand both the spirit of Tradition and its antithesis, modern civilization, it is necessary to begin with the fundamental doctrine of the two natures. According to this doctrine there is a physical order of things and a metaphysical one; there is a mortal nature and an immortal one; there is the superior realm of “being” and the inferior realm of “becoming.” Generally speaking, there is a visible and tangible dimension and, prior to and beyond it, an invisible and intangible dimension that is the support, the source, and the true life of the former. [25] [30]

Not only does Heidegger reject this Platonic metaphysics, he sees it as the first major stage in the decline of the West. Its inception is essentially identical with the “forgottenness” of the clearing spoken of a moment ago. All the aspects of modernity Heidegger was quoted earlier as deploring are ultimately traceable, he believes, to Platonic metaphysics. Thus, Heidegger completely rejects the idea that a “race” declines when it has “lost contact” with being, in the Platonic sense of “being” meant by Evola. Quite the reverse: a race — our race — has declined precisely through its turn toward Platonic metaphysics, and its turn away from the clearing. Thus, when Heidegger swaps Sein for Seyn, he is entirely changing the meaning of what Evola is saying. He is rewriting the passage so that it agrees with his own position: the decline of the West stems from its forgottenness of Seyn (the clearing) and its embrace of the Platonic Sein of the Western metaphysical tradition.

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Heidegger omits the last part of Evola’s sentence for similar reasons. Let us look again at those words. Evola tells us that when a race has lost contact with “the world of being” it will “become prey to the irrational, the changeable, the ‘historical,’ of what is conditioned from below and from the outside.” Heidegger omits these words because he rejects Evola’s dichotomy between “being” and “the historical.” Heidegger argues, in fact, that Beyng/the clearing is inherently historical (geschichtlich), and changeable (veränderlich). The Being of things actually changes as culture changes. This is the same thing, fundamentally, as saying that the meaning of things changes over time.

But could the Being/meaning of the Amazon box on my doorstep ever change? Of course. Imagine a future world without Amazon, or one in which Amazon has been declared a monopoly and broken up into a number of different, competing entities. No more Amazon boxes on doorsteps. When you do see them, you see them in museums and you no longer see them simply as utilitarian objects. You no longer think, on glimpsing one, “Oh, my copy of Being and Time has arrived,” or some such. Instead, the Amazon box takes on a new meaning: as a symbol of a dark time we are, happily, well beyond; a time in which we allowed companies like Amazon not only to corner the market and put all smaller competitors out of business, but to shape the information we have access to through censorship and the banning of books [31].

Thus, if the Being or meaning that things have for us changes over the course of history, as culture and circumstances change, then, contra Evola, Being is inescapably “changeable” and “historical.” Evola also says that a race which loses contact with his idea of being falls prey to “the irrational” (das Irrational, in the German translation). Would Heidegger endorse this as well? Is his idea of Being “irrational”? Well, Heidegger does argue that historical-cultural shifts in Being/meaning are not fully intelligible to human beings. The reason for this is that it is always within Beyng/the clearing that things are meaningful or intelligible to us. It therefore follows that Beyng/the clearing itself is not ultimately intelligible. In a highly qualified sense, we could thus describe it as “irrational.” That Evola implicitly endorses the equation of being with “the rational” in this passage is extremely ironic. As we will see in a later installment, Heidegger argues that this equation is a key feature of the modern inflection of the Western metaphysical tradition, and that all the modern maladies Evola decries are ultimately attributable to it.

imagesMHpenser.jpgHeidegger would have regarded Guénon and Evola as philosophically naïve—for several reasons. First, they uncritically appropriate the Western metaphysical tradition in the name of combating modernity. Yet, as I have already mentioned, Heidegger argues that that tradition is implicated in the decline of the West. Second, the Traditionalists naïvely assert that this metaphysical tradition is “perennial” or timeless. They take Platonism as preserving elements of a primordial tradition that antedates Plato by millennia. They hold that the time of Plato belongs to the Kali Yuga (the fourth age, the decadent “Iron Age”), but they take Plato (and other ancient philosophers) to be preserving an older, indeed timeless wisdom. However, this is pure speculation, for which there is no solid scholarly evidence. [26] [32]

A further Heideggerian objection to Traditionalism may be considered at this point, and it is an extremely serious one. Both Heidegger and the Traditionalists decry rootless modern individualism. However, Heidegger’s critique goes much further. Recall that for the philosopher Being is inherently historical and changeable. What things are for us, or what they mean, is determined in part by our historical situation. Human Dasein is always embedded in a set of concrete historical, cultural circumstances. Heidegger writes: “Only insofar as the human being exists in a definite history are beings given, is truth given. There is no truth given in itself; rather, truth is decision and fate for human beings; it is something human.” [27] [33] This does not, however, mean that truth, as human, is something “subjective”:

We are not humanizing the essence of truth: to the contrary, we are determining the essence of human beings on the basis of truth. Man is transposed into the various gradations of truth. Truth is not above or in man, but man is in truth. Man is in truth inasmuch as truth is this happening of the unconcealment of things on the basis of creative projection. Each individual does not consciously carry out this creative projection; instead, he is already born into a community; he already grows up within a quite definite truth, which he confronts to a greater or lesser degree. Man is the one whose history displays the happening of truth. [28] [34]

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As a result of this stance, Heidegger rejects both the Enlightenment ideal of a “view from nowhere,” as well as rootless, modern cosmopolitanism.

Consider, however, the following lines from The Reign of Quantity. Guénon writes disapprovingly of “those among the moderns who consider themselves to be outside all religion” —  i.e., freethinking individualists. He asserts that such men are “at the extreme opposite point from those who, having penetrated to the principial unity of all the traditions, are no longer tied to any particular form.” This latter position, of course, is that of Guénonian Traditionalism itself. In a footnote, he then approvingly quotes Ibn ‘Arabî: “My heart has become capable of all forms: it is a pasture for gazelles and a monastery for Christian monks, and a temple for idols, and the Kaabah of the pilgrim, and the table of the Thorah and the book of the Quran. I am the religion of Love, whatever road his camels may take; my religion and my faith are the true religion.” [29] [35]

Though Guénon contrasts the position of the modern freethinker to the Traditionalist, Heidegger would doubtless argue that there is a fundamental identity between them. The freethinker imagines that he has freed himself from any cultural-religious context and become a kind of intellectual or spiritual cosmopolitan. Yet the Traditionalist thinks the exact same thing. The only difference is that the freethinker believes he has cast off religion or “spirituality” itself, whereas the Traditionalist imagines that he adheres to a decontextualized, ahistorical, and universal spiritual construct called “Tradition.” This standpoint too is fundamentally modern.

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One might object, however, that Guénon’s decision to convert to Islam and “go native” in Cairo, where he spent the last twenty years of his life, indicates that he was aware that tradition could not be a free-floating abstraction, and that to be a true Traditionalist one had to choose a living tradition and immerse oneself in it. This is true, as a statement of Guénon’s views. But the very idea that one can choose a tradition buys into the modern conception of the autonomous self who may, from a standpoint of detachment from any cultural or historical context, survey the different traditions and select one. It is no use here to point out that all Muslims must, in a sense, “choose” Islam, as it is not an ethnic religion but a creedal one, whose faith all adherents must profess, and to which anyone may convert. This is a valid point, but a superficial one. Islam emerged from a cultural and historical context quite alien to the West, and which no Westerner may ever truly enter.

4. Conclusion

Let us now consider a couple of objections to this Heideggerian critique of Traditionalism.

First, defenders of Traditionalism might respond that Guénon and Evola are primarily grounded in the Indian tradition, and not in Western metaphysics at all. There are essentially two pieces of evidence for this claim. The first is Guénon and Evola’s endorsement of the Hindu cyclical account of time, of the yugas, which is indeed quite ancient. Both seem to accept this teaching in very literal terms, right down to the traditional Hindu calculations of the time span of each yuga (which strike most modern readers as arbitrary inventions). Second is the primacy granted by both thinkers to Vedanta. Both Guénon and Evola regard the teachings of the Upanishads as an expression of a very ancient ur-metaphysics, which constitutes a “perennial philosophy.”

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The dependence of the Traditionalists on the Indian tradition is very real. The trouble, however, is that they interpret the Indian materials in terms of the categories and terminology of Western metaphysics. Indeed, this is especially true of Guénon, who shows no signs of recognizing that there is anything problematic about understanding the Upanishads in terms derived from Platonic and Aristotelian philosophy. For example, right at the beginning of The Reign of Quantity, Guénon discusses the duality of Purusha and Prakriti using the categories of “essence and substance” — then, a page later, he appeals to “form and matter,” then to “act and potency.” [30] [38] This is all Aristotelian terminology. Moreover, there is no attempt on Guénon’s part to recover the “originary” sense of these terms in Aristotle. Instead, he unhesitatingly adopts the medieval scholastic understanding of these distinctions.

It may be that Guénon thought it was valid to discuss Vedanta in Platonic-Aristotelian terms because he regarded the Platonic tradition as itself an expression of the perennial philosophy. Thus, he simply decided a priori that Vedanta and Platonism are two streams flowing from the same source: primordial Tradition. But, again, this is pure speculation. The bottom line is that Guénon and Evola do accord special primacy to the Indian tradition over Western metaphysics — but they see the former almost entirely through the lens of the latter. Thus, despite their interest in Indian thought, they are still thoroughly beholden to Western metaphysics.

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It remains to consider a further, much more significant, objection to these Heideggerian critiques of Traditionalism. The primary objection I have raised against Guénon and Evola is that they are thoroughly committed to Western metaphysics. This is a problem because Heidegger argues that the Western tradition is not only a falling away from a more primordial encounter with Being, it actually makes possible the modern decadence that Traditionalists rightly reject. But why we should follow Heidegger in any of this? Why should we accept Heidegger’s negative evaluation of Western metaphysics? Why should we accept the thesis that Platonic metaphysics made modernity possible? The next essay in this series will be devoted to addressing just these questions. It will be the first of several essays offering a compressed summary and commentary on Heidegger’s history and critique of metaphysics, demonstrating that the claims he makes are both plausible and profound. Heidegger is right in thinking that Western metaphysics lies at the root of modernity. We will begin with Heidegger’s critique of Plato.

What did Heidegger have to say about tradition? In “The Age of the World Picture” (1938) He warns us against “merely negating the age” and writes that “The flight into tradition, out of a combination of humility and presumption, achieves, in itself, nothing, is merely a closing the eyes and blindness towards the historical moment.” [31] [39] But Heidegger also argues that the turn toward metaphysics is a turn away from a more authentic way of encountering Being. It is in this latter conception that we find what may be the equivalent of “primordial tradition” in Heidegger’s thought. One of the conclusions that will be defended in this series of essays is that while Heidegger is clearly not a Guénonian or Evolian Traditionalist, he is actually more traditionalist than the Traditionalists.

Appendix. Outline of the Series:

Part One (the present essay): Why Heidegger and Traditionalism are not compatible; major errors in Traditionalism from a Heideggerian perspective.

Part Two: Heidegger’s history of metaphysics, focusing on his critique of Platonism. This account will deepen our understanding of why Heidegger would regard Traditionalism as a fundamentally modern movement, as well as deepen our understanding of modernity.

Part Three: The continuation of our account of Heidegger’s history of metaphysics, from Plato to Nietzsche. Among other things, Part Three will discuss Evola’s problematic indebtedness to German Idealism, especially J. G. Fichte, whose philosophy (I will argue) is like a vial of fast-acting, concentrated modern poison.

Part Four: From Nietzsche to the present age of post-War modernity, which Heidegger characterizes as das Gestell (“enframing”). Part Four will deal in detail with this fundamental Heideggerian concept, which is central to his critique of technology.

Part Five: How Heidegger proposes that we respond to technological modernity. His project of a “recovery” of a pre-metaphysical standpoint; his “preparation” for the next “dispensation of Beyng.” His phenomenology of authentic human “dwelling” (“the fourfold”), and Gelassenheit.

Part Six: A call for a new philosophical approach, building upon Heidegger and the Traditionalists, while moving beyond them. Three primary components: (1) The recovery of “poetic wisdom” (to borrow a term from G. B. Vico): Heidegger’s project of the recovery of the pre-metaphysical standpoint now applied to myth and folklore, and expanded to include non-Greek sources (e.g., the pre-Christian traditions of Northern Europe); (2) Expanding Heidegger’s project of the “destruction” of the Western tradition to include the Gnostic and Hermetic traditions, Western esotericism, and Western mysticism; (3) Finally, social and cultural criticism from a standpoint informed by the critique of metaphysics, critique of modernity, and recovery of “poetic wisdom.”

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Notes

[1] [40] I will capitalize the “t” in Traditionalism to indicate the school of Guénon, Evola, et al., as opposed to “traditionalism” in the looser, broader sense of the term. This device is necessary, as I will be using the term in both senses. I should also note that it is primarily the Traditionalism of Guénon and Evola that I am concerned with here. I am comparatively less interested in the “softer” Traditionalism of figures like Coomaraswamy, Schuon, Huston Smith, etc. Most of the objections raised against Guénon and Evola herein would apply to these authors as well.

[2] [41] “Originary” (ursprünglich) is a term frequently used by Heidegger.

[3] [42] Martin Heidegger, Introduction to Metaphysics, trans. Gregory Fried and Richard Polt (New Haven, CT: Yale University Press, 2000), 40-41. This was originally a lecture course given by Heidegger in 1935. It was published for the first time in German in 1953. The material in square brackets was added by Heidegger when the lecture course was published in 1953.

[4] [43] Fried and Polt, 47.

[5] [44] Fried and Polt, 48-49. Bracketed phrase added by Heidegger for the 1953 edition.

[6] [45] Martin Heidegger, What is Called Thinking?, trans. J. Glenn Gray (New York: Harper Perennial, 1968), 30.

[7] [46] One point is omitted from the discussion below, one which my readers might expect me to discuss: “the flight of the gods.” What Heidegger means by this, however, is complicated, and far from obvious. I will discuss this issue in a later essay.

[8] [47] René Guénon, The Reign of Quantity and the Signs of the Times, trans. Lord Northbourne (Hillsdale, NY: Sophia Perennis, 2001), 43.

[9] [48] Reign, 42

[10] [49] Reign, 43. For similar remarks see Julius Evola, Meditations on the Peaks, trans. Guido Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1998), 45-46.

[11] [50] Reign, 51-52.

[12] [51] Reign, 48.

[13] [52] Reign, pp. 60-61. Compare this to some remarks by Alexandre Kojève: “Hence it would have to be admitted that after the end of history men would construct their edifices and works of art as birds build their nests and spiders spin their webs, would perform their musical concerts after the fashion of frogs and cicadas, would play like young animals and would indulge in love like adult beasts.” See Introduction to the Reading of Hegel, ed. Raymond Queneau and Allan Bloom, trans. James H. Nichols, Jr. (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1969), 159 (footnote).

[14] [53] Reign p. 194.

[15] [54] The discovery of the note in 2015 received some attention in the German press. Writing in the Frankfurter Allgemeine Zeitung [55], Thomas Vasek claims that “textual comparisons suggest that Heidegger had not only read Evola, as this note indicates, but was also influenced by his ideas from the mid-thirties on, from his critique of science and technology, his anti-humanism and rejection of Christianity, to his ‘spiritual’ racism.” This is a completely baseless, and, indeed, ludicrous assertion, as I will shortly demonstrate. See Greg Johnson’s analysis of the Heidegger note, and Vasek’s article, here [56].

[16] [57] Julius Evola, Erhebung wider die moderne Welt, trans. Friedrich Bauer (Stuttgart: Deutsche Verlags-Anstalt, 1935), 65. The translator actually leaves out portions of Evola’s text, but since Heidegger only read the translation and not the original, these omissions do not concern us here. For the full passage in English translation, see Julius Evola, Revolt Against the Modern World, trans. Guido Stucco (Rochester, VT: Inner Traditions, 1995), 56-57.

[17] [58] The “s” at the end of Seins/Seyns in the passage simply indicates the genitive case. The nominative is Sein/Seyn.

[18] [59] Anglophone translators of Heidegger have adopted the convention of rendering Seyn as “Beying.”

[19] [60] Thomas Sheehan, Making Sense of Heidegger: A Paradigm Shift (Lanham, MD: Rowman and Littlefield, 2015), 20.

[20] [61] Martin Heidegger, Basic Writings, ed. David Farrell Krell (New York: Harper and Row, 1977), 384-385. This essay was translated by Joan Stambaugh; italics added.

[21] [62] Sheehan argues at length that, for Heidegger, Being and meaning are identical.

[22] [63] This way of expressing things should be understood as figurative, and preliminary. Actually, Heidegger wants to entirely avoid a “subjective” treatment of the clearing as some sort of “faculty” or Kantian a priori structure that I “bear within me.” The reason, at root, is that this treatment of the clearing is phenomenologically untrue. I do not, in fact, experience the clearing as something “in me” that is “mine.” Still less do I experience it as something over which I have any kind of influence or control. There is thus no real basis for “subjectivizing” the clearing; for locating it “within the subject.” Indeed, Heidegger critiques the subject/object distinction prevailing in philosophy since Descartes, which locates certain “properties” as “within” a subject, as if this subject is a kind of cabinet in which we dwell, removed from an “external world.” See Heidegger, Being and Time, trans. Joan Stambaugh, rev. Dennis J. Schmidt (Albany, NY: State University of New York Press, 2010), 60-61.

[23] [64] Generally speaking, this is correct. Unfortunately, Heidegger is inconsistent with his use of Sein/Seyn, sometimes referring to Being, sometimes to the clearing that gives Being.

[24] [65] What is Called Thinking?, 152.

[25] [66] Revolt, 3.

[26] [67] The Traditionalists are in much the same position as the Renaissance “Hermeticists” who falsely believed that the Corpus Hermeticum contained an Egyptian wisdom that far antedated Plato and the Greeks, and from whom those philosophers had taken their basic doctrines. In reality, the Corpus Hermeticum was no older than the first century BC, and it derived its doctrines, in large measure, from Plato and his school.

[27] [68] Martin Heidegger, Being and Truth, trans. Gregory Fried and Richard Polt (Bloomington: Indiana University Press, 210), 134. Italics in original.

[28] [69] Being and Truth, 136. Italics in original.

[29] [70] Reign, 62-63.

[30] [71] Reign, 11-12.

[31] [72] Martin Heidegger, Off the Beaten Track, trans. Julian Young and Kenneth Haynes (Cambridge: Cambridge University Press, 2002), 72.

 

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[4] Tyr: https://arcanaeuropamedia.com/collections/journal/products/tyr-myth-culture-tradition-vol-1

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[55] Frankfurter Allgemeine Zeitung: https://www.genios.de/document?id=FAZ__FNUWD1201512304749384%7CFAZT__FNUWD1201512304749384

[56] here: https://counter-currents.com/2016/02/notes-on-heidegger-and-evola/

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Spengler et le kathekon

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Spengler et le kathekon

Carlos X. Blanco

Ex: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com

Le philosophe allemand Oswald Spengler a été, à mon avis, le grand phare du XXe siècle. Au-delà de quelques exagérations, surtout dans le domaine de ses analogies et de ses audaces poétiques, et au-delà de son allergie au rationalisme et à la pensée systématique, cet homme était, avant tout, un prophète, un esprit puissant et fin, une lumière qui nous éclaire sur la longue perspective.

Il y a un siècle, il a publié Le Déclin de l'Occident [Der Untergang des Abendlandes]. Le titre même, la polysémie (surtout pour un hispanophone) du terme Untergang, sa propre conception très originale, c'est-à-dire une conception qui veut que l'histoire ait une morphologie, qu'elle est un paysage de cultures et de civilisations plutôt qu'un flux d'événements qui peuvent être "expliqués" par des lois ... tout cela et bien d'autres choses encore ont fait que son livre était destiné au succès et, pour ou contre lui, de près ou de loin, tout le monde en parlait. Spengler est, comme son compatriote Schopenhauer, l'auteur d'"un livre". Il est vrai qu'il a fait publier d'autres textes, dont aucun n'est exempt d'étincelle féconde, d'intuition, de substance, d'intérêt historique, politique, sociologique, métaphysique. Mais Der Untergang des Abendlandes est sa cathédrale, son Magnum Opus, son sommet, d'une manière similaire à la façon dont Le monde comme volonté et comme représentation a été la carte d'entrée unique à l'Olympe de la pensée pour Arthur Schopenhauer. C'est dans ce fait là, celui d'être les auteurs d'un seul grand livre, et non dans leur « pessimisme », que je placerais la parenté entre les deux penseurs, Oswald Spengler et Arthur Schopenhauer. Je ne pense pas qu'il y ait un réel pessimisme - du moins pas chez Spengler - lorsque l'auteur nous dit que cet effondrement et cette dissolution (Untergang) sont aussi étrangers à nos sentiments et à nos désirs que l'évaporation d'une goutte du fleuve ou le lent glissement d'une couche tectonique peuvent l'être pour la galaxie tout entière. Un tel regard "cosmique", et plus que "cosmique", quasi théiste, avec lequel le philosophe de l'histoire veut se donner une vaste perspective, en vue de dépouiller le cours inexorable des événements humains de tout anthropomorphisme, rappelle notamment les prédécesseurs non reconnus de Spengler : Hegel ou Marx, que ces prédécesseurs regardent le passé avec les yeux du réactionnaire, ou qu'ils entrevoient l'avenir de façon progressiste et révolutionnaire.

Hegel et Marx, eux aussi, ont adopté dans une large mesure le "point de vue de Dieu" pour voir ce que font les rois, les sujets, les concurrents ou les paysans, les ouvriers ou les magnats, en tant que sujets encastrés dans des masses, ou à la manière des fourmis piégées dans le miel, une substance collante fourrée dans un bocal de verre sur le point de tomber en morceaux sur le sol. Que la raison suive son cours inexorable (Hegel), ou que "les forces sociales au-dessus de la volonté humaine" (Marx) déterminent les individus et les groupes dans leurs lignes de conduite, sont des schémas de pensée qui ne sont pas très éloignés du fatum spenglerien. Ce dernier nous dit que l'histoire est la biographie des cultures et que les cultures - et non les "sociétés" ou les "nations" - sont la véritable unité vitale dont le cours doit être étudié par l'historien.

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L'homme européen, et plus précisément une partie importante et déterminante de cet homme européen, l'Espagnol, vit aujourd'hui une époque sombre, à la croisée des chemins. Il y a trop de ténèbres ce soir pour savoir quel chemin prendre. Certains chemins mènent à coup sûr à une falaise dont le fond semble aussi profond que l'enfer. D'autres pistes sont incertaines et mènent à la "mort". Qui, si ce n'est Spengler, a réfléchi aussi subtilement à la mort fatale des cultures ? Les cultures, déjà anciennes et atteintes de sclérose, sont appelées Civilisations. Ce sont les grandes civilisations de la Terre, des plantes flétries de plus en plus solidifiées, presque minérales. Et leurs villes sont faites de pierre (ou d'asphalte, de béton, d'acier). Des villes disproportionnées et hautaines, "cosmopolites" et "multiculturelles" qui, en réalité, ignorent le sol dont elles sont issues et se développent contre les racines mêmes d'où cette culture, en tant que jeune progéniture, a un jour germé. Nous vivons dans une Espagne et une Europe asphaltées, à plusieurs mètres au-dessus de l'humus dont sont issus nos groupes ethniques, nos racines, nos croyances. Nous vivons, daltoniens, sans voir le sang rouge de ceux qui ont versé le leur pour que nous puissions être ici.

Aucun parti politique ne peut redonner vie au cadavre de notre Espagne et de notre culture européenne, qui est devenue une civilisation universelle pétrifiée. La peur de la balkanisation de l'Espagne, le dégoût de l'euro-bureaucratie de Bruxelles, l'horreur de l'invasion allogène, la détérioration de la famille, la dangerosité et l'impunité des criminels, les moqueries à l’encontre de notre Histoire et de nos Gloires, l'injustice économico-sociale, la montée de l'ochlocratie à l'intérieur et à l'extérieur des partis... Rien de tout cela, seul ou en synergie, ne peut aujourd'hui constituer le déclencheur du souci collectif de former un "katehon", un mouvement de résistance face à la dissolution. L'Espagne seule ne peut plus résoudre ces problèmes. Nous avons besoin d'un mouvement de résistance et d'opposition à la décadence des deux côtés de l'Atlantique, sur les rives de l'océan où nous avons encore des frères : l'Amérique et l'Europe. Une "droite", bourrée de complexes et jouant à gagner des sièges et des conseils ne nous suffit plus. En réalité, ni la gauche ni la droite ne nous sont utiles. Toute la petite affaire montée en 1978 en Espagne (le nouvel ordre constitutionnel post-franquiste) ne sert plus à rien. Nous avons besoin d'un grand pôle de rétivité populaire et d'une nouvelle sève innervée de colère. La nuit sera très sombre. C'est le moment pré-césariste que Spengler a prophétisé. C'est l'obscurité qui pénètre dans votre âme, où tout est confus, dans un bourbier où même les excréments sont avalés avec plaisir et il faut, à ce moment-là, avoir un phare dans le cerveau et voir les choses bien à l'intérieur.

Source : La Tribuna del País Vasco

jeudi, 17 décembre 2020

Adriano Romualdi aurait eu 80 ans !

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Adriano Romualdi aurait eu 80 ans !

Hommage

Idées (à droite) pour une vision politique organique

Il y a 80 ans, le 9 décembre 1940, naissait l’intellectuel italien, demeuré jeune parce que décédé prématurément. Il impulsa dynamisme et solidité aux idées non-conformistes

par Mario Bozzi Sentieri

Ex : https://www.barbadillo.it

conservatore.jpgIl y a 80 ans, le 9 décembre 1940, Adriano Romualdi naissait à Forlì. Cet anniversaire est important pour se souvenir de cet intellectuel, demeuré jeune parce que décédé prématurément, le 12 août 1973, à la suite d'un accident de voiture. Son souvenir est resté gravé dans la mémoire de la jeune génération des années cinquante, confrontée à l'engagement politique et culturel des années soixante-dix. Adriano Romualdi était, pour cette génération, une sorte de grand frère, capable d'offrir à la vision néo-fasciste des raisons d'être plus profondes, puis d’emprunter de manière autonome les chemins d'un nouveau dynamisme culturel. Dans cette perspective, sa personnalité reste encore un exemple.

Adriano Romualdi, professeur d'université en histoire contemporaine, allait assurément connaître une brillante carrière. Il a su lier l'originalité de ses études, les aspects marginaux et sous-estimés de son œuvre dans les années 1960 et 1970 (pensez à la révolution conservatrice allemande, à la relecture de la pensée de Nietzsche, à l'européanisme intégral, aux auteurs du "romantisme fasciste", à Platon) à une vision organique cohérente et intégrale pour la droite. Ses études l’ont de fait renforcée, la faisant sortir de l’ombre, de la banalité d'un certain qualunquisme patriotique, toujours lourdement présent.

Il y a eu sa lecture du Nietzsche de la Wille zur Macht dans la perspective - il l’écrit, en 1971 – d’une "...volonté de travailler à la création d'une droite moins pathétique, plus consciente de ce qu’elle représente et plus férocedanssescombats, car, certainement, malgré la question de Longanesi, les vieilles lunes ne nous sauveront pas".

Il y a eu sa fresque intitulée "Sur le problème d'une tradition européenne" (1973) : elle constitue une synthèse exemplaire dans la perspective de révéler une physionomie méta-historique de notre Occident, physionomie qui sait, en même temps, être une future préfiguration, une recherche problématique d' « une forme spirituelle capable de contenir trois millénaires et plus de spiritualité européenne ».

Et encore, de manière explicite, il y a eu son questionnement, dans "Idées pour une culture de droite" (1965, 2e édition 1970), sur "l'être de droite", figé dans le refus des mouvements "subversifs", issus de la révolution française (du libéralisme au socialisme) et sur la "décadence des mythes rationalistes, progressistes, matérialistes" ; ce refus était soutenu par la vision d'une étatisation organique, "où les valeurs politiques prédominent sur les structures économiques", et par une revendication altière de la "droite", revendication d'une "spiritualité aristocratique, religieuse et guerrière".

Cette revendication englobait certains des principaux courants de la culture traditionnelle: de Joseph de Maistre et de Louis de Bonald, mais aussi du Hegel de La philosophie du droit, bien sûr aussi le Nietzsche de la Volonté de puissance, de la "révolution conservatrice", de Julius Evola. Ces auteurs et ces références étaient fortement ancrés dans sa vision du monde mais ne lui ont pas fait perdre de vue les "nouvelles tâches" d'une culture engagée "à droite", qui devait pouvoir affronter la réalité, en intégrant aussi les visions mythiques aux énucléations logiques, la pensée scientifique et l'anthropologie, l'écologie (alors balbutiante, mais considérée par Adriano Romualdi comme la préservation des différences et des particularités "nécessaires à l'équilibre spirituel de la planète") et évidemment la recherche historique, soutenue par une vision qui n'était pas banalement évolutive.

WhAEoo.jpegSon idée d'un droit politique "non égalitaire" repose sur ces solides fondements spirituels, que je viens d’exposer ici. C'est en septembre 1972 qu'Adriano Romualdi, à l'occasion de la conférence annuelle de la revue L'Italiano, dirigée par son père Pino, figure historique du MSI, met en évidence la distinction entre la droite (politique et culturelle) et le qualunquisme, sous ses différentes formes (qualunquisme politique, patriotique, culturel).

Protestations frivoles et « critique des prudents »

La critique d'Adriano Romualdi s'adresse à ceux qui protestent "contre quelque chose", sans bien savoir "pour quoi". C'est également une critique des "prudents", qui se plaignent dans l'ombre et s’expriment discrètement dans les urnes, mais ne veulent pas analyser en profondeur les raisons de la crise en cours. Ils se contentent donc des petits horizons du qualunquisme patriotique, de "ce pays pavoisant en rouge-blanc-vert, avec des compatriotes sympas, beaucoup de drapeaux à la main, et des majorités silencieuses de femmes au foyer et de retraités. Un pays ordinaire pour les qualunquistes, où la dimension conflictuelle planétaire - nous parlons des années 70 - est celle qui oppose deux empires aux dimensions continentales, les USA et l'URSS.

Pour se débarrasser du qualunquisme politique et "patriotique", qui ne résout rien, il est essentiel - dit Adriano Romualdi - de vaincre le "qualunquisme culturel" qui est "L'acceptation de la culture pour la culture, presque comme si l'intelligence représentait une valeur en soi et l'intellectuel une figure à défendre en tant que tel".

Dans ce choix de méthode et de valeur, il y a le rejet d'un "ordre" de droite - comme c'était à la mode à l'époque - qui "garde" l'École, l'Université et donc aussi le monde de la culture, sans aborder le problème des contenus qui sont véhiculés dans ces domaines.

Et il y avait aussi la conscience que le rapport entre la droite en place à l’époque, rapport qui n'était pas nié, avec le fascisme ne pouvaient pas être réduit à de la simple "nostalgie".

En ce début de nouvelle ère de la Droite Nationale, Adriano Romualdi souligne plutôt la nécessité d'aller au-delà de l'hagiographie facile, encore répandue dans les milieux du MSI, celle des ornements, de la pure nostalgie, faite de médailles, de pendentifs, d’images sacralisées, de bustes du Duce.

unnamedarrc.jpgEn dehors des contingences d'une situation politique et culturelle de cette époque d’avant 1973, qui sont nettement perceptibles dans certains passages de son œuvre écrite, inévitablement affectée par le temps qui a passé. Les bouleversements de notre époque ont changé la donne (il suffit de penser à la fin de l'URSS, à la crise de l'empire américain, à l'émergence de la mondialisation, à la montée des nouvelles économies asiatiques). Les propositions de Romualdi conservent leur valeur, dans la mesure où elles se nourrissent d'une vision profonde de la culture et donc de la politique, rejetant tout minimalisme et toute respectabilité rassurante.

Par conséquent, plus qu'une simple célébration, le souvenir d'Adriano Romualdi, en ce jour de son 80ème anniversaire, apparaît aujourd'hui comme une nécessité, la nécessité d’une interprétation non triviale de la réalité politique. Il y a la valeur de certains choix, le sentiment d'une appartenance idéologique/politique, qui, libéré des références contingentes, doit être "repensé" sur la base d'une vision plus élevée de la politique, et surtout de la culture qui la soutient, de la "vision de la vie et du monde" qui doit l'animer.  

Dans ce sens, ce que Donoso Cortes a prédit correspond bien à l'œuvre d'Adriano Romualdi : "Je vois venir le temps des négations absolues et des affirmations souveraines".  Il y a, aujourd'hui, un grand besoin de "négations absolues" et d'"affirmations souveraines", à droite et pas seulement à droite.

jeudi, 10 décembre 2020

La perception des idées de Martin Heidegger et Carl Schmitt en Chine

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La perception des idées de Martin Heidegger et Carl Schmitt en Chine

Par Xie Dongqiang

Traduction de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru/es

Martin Heidegger

Martin Heidegger était un penseur allemand, l'un des plus grands philosophes du XXe siècle. Il a créé la doctrine de l'Être comme l'élément fondamental et indéfinissable, mais faisant partie intégrante de l'univers. Il est l'un des plus éminents représentants de l'existentialisme allemand.

Franz_Brentano_portrait.jpgSelon lui, la philosophie, pendant plus de 2000 ans d'histoire, a prêté attention à tout ce qui a les caractéristiques de l'"être" dans ce monde, y compris le monde lui-même, mais a oublié ce que cela signifie. C'est la "question de vie" de Heidegger, qui traverse toutes ses œuvres comme un fil rouge. Une des sources qui a influencé son interprétation de ce thème a été les travaux de Franz Brentano (photo) sur l'utilisation des différents concepts de l'être dans Aristote. Heidegger commence son œuvre principale, L’Etre et le Temps, par un dialogue tiré du Sophiste de Platon, qui montre que la philosophie occidentale a ignoré le concept d'être parce qu'elle considérait que sa signification allait de soi. Heidegger, pour sa part, exige que toute la philosophie occidentale retrace dès le début toutes les étapes de la formation de ce concept, appelant à un processus de "destruction" de l'histoire de la philosophie. Heidegger définit la structure de l'existence humaine dans son ensemble comme "Sorge" (= le Souci), qui est l'unité de trois moments : "être dans le monde", "courir en avant" et "être avec le monde de l'être". La "Sorge" est la base de "l'analyse existentielle" de Heidegger, comme il l'a appelée dans L'être et le temps. Heidegger pense que pour décrire une expérience, il faut d'abord trouver quelque chose pour laquelle une telle description a un sens. Ainsi, Heidegger déduit sa description de l'expérience à travers le Dasein, pour lequel l'être devient une question. Dans L’Etre et le Temps, Heidegger a critiqué la nature métaphysique abstraite des façons traditionnelles de décrire l'existence humaine, comme l’"animal rationnel", la personnalité, l'être humain, l'âme, l'esprit ou le sujet. Le Dasein ne devient pas la base d'une nouvelle "anthropologie philosophique", mais Heidegger le comprend comme une condition pour la possibilité de quelque chose comme "anthropologie philosophique". Selon Heidegger, le Dasein est "Sorge". Dans la partie sur l'analyse existentielle, Heidegger écrit que le Dasein, qui se trouve jeté au monde entre les choses et les Autres, trouve en lui la possibilité et l'inévitabilité de sa propre mort.

L'essence de la pensée de Heidegger est la suivante : l'individu est l'existence du monde. Parmi tous les mammifères, seuls les humains ont la capacité d'être conscients de leur existence. Ils n'existent pas en tant que "je" associé au monde extérieur, ou en tant qu'entités qui interagissent avec d'autres choses dans ce monde. Les gens existent grâce à l'existence du monde et le monde existe grâce à l'existence des gens. Heidegger pense également que les gens sont en contradiction : ils prédisent une mort imminente, ce qui entraîne des expériences douloureuses et effrayantes.

Quant à l'adoption du Soi et du temps en Chine, Wang Heng souligne dans Foreign Philosophy que cela fait partie de l'existentialisme. Cela est probablement dû à l'atmosphère idéologique de lutte pour la liberté et la libération de l'homme dans les années 1980. Chacun croit que l'existence ou la survie est comprise comme un libre choix de l'individu. Il semble maintenant que la lecture de L'Être et le Temps par les Chinois était un peu inappropriée. Car dans L'Être et le Temps, Heidegger a sévèrement critiqué les valeurs dites modernes de subjectivité, de liberté individuelle et de libération de l'homme.

Heidegger a également des considérations idéologiques plus profondes. Liu Jinglu a souligné dans son article "Sur la critique de la métaphysique traditionnelle de Heidegger" que Heidegger s'intéresse à une question plus fondamentale, la question fondamentale de la métaphysique ou de la philosophie occidentale, et même la question clé de la civilisation occidentale. Heidegger estime que, si nous voulons comprendre l'existence, nous devons partir de l'existence réelle des êtres humains ; "l'être" ne peut être considéré comme un objet réel, tout comme l'existence humaine. L'essence d'un être humain est "l'être", c'est-à-dire que les gens n'ont pas une essence définie. Il est probable que les gens se tournent vers l'avenir et fassent face à leur propre mort.

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Après la Première Guerre mondiale, la civilisation occidentale moderne a été confrontée à une grave crise, c'est-à-dire à de profonds doutes sur le rationalisme moderne. Depuis le XVIIIe siècle, les Occidentaux ont senti qu'ils pouvaient comprendre le monde par la raison, la science et la technologie et établir un ordre social et politique rationnel, réalisant ce que Kant appelait la "paix perpétuelle". Mais la Première Guerre mondiale a fortement entamé cette confiance. C'est le contexte idéologique de l'Être et du Temps de Heidegger. Heidegger a posé la question suivante : cette philosophie rationaliste moderne peut-elle vraiment expliquer et transformer le monde ? La conclusion de L’Etre et le Temps est que le rationalisme moderne en tant que base philosophique de la civilisation moderne n'est pas enraciné en lui-même, parce que la connaissance rationnelle des gens est enracinée dans les émotions spécifiques de la vie des gens.

Plus tard, Heidegger a qualifié la crise du monde moderne de nihilisme. Il a déclaré que le nihilisme n'est pas une crise morale, qu'il ne signifie pas que notre vie a perdu son fondement moral, et qu'il n'est même pas une crise des valeurs comme Nietzsche l'a compris. Selon lui, la crise du nihilisme est la crise de toute la civilisation moderne en tant qu'époque technologique. Car l'essence de la technologie est d'abord de transformer l'"être" en un objet reconnaissable, un "être" compréhensible, puis de le conquérir et de le contrôler. La technologie, c'est comme le formatage d'un ordinateur, le formatage de tout. Le monde de l'existence humaine n'a donc plus aucun mystère et plus aucune source de sens. Heidegger a dit qu'à l'ère de la technologie, pourquoi les dieux se sont-ils enfuis ? Parce que les dieux doivent rester là où ils ne peuvent pas être atteints. Au niveau le plus profond, la pensée ultérieure de Heidegger nous oblige à réfléchir à de nombreuses questions fondamentales pour la survie de l'homme à l'ère de la technologie. Car à l'ère de la technologie, les gens sont confrontés non seulement à la fuite des dieux, mais aussi à d'importantes questions éthiques et morales qui sont étroitement liées à nos vies particulières. Heidegger nous demandera s'il y a un domaine que les humains ne peuvent pas comprendre et contrôler. Dans une période ultérieure de sa vie, il a cru que "l'être" est la source de toutes les pensées, et que nous devrions toujours trembler devant lui. Bien que l'être soit hors de portée de nos pensées, toutes nos pensées proviennent de ses dons.

Dans une interview intitulée "À propos de Heidegger et de sa philosophie", le professeur Wu Zengding, du département de philosophie de l'université de Pékin, estime que, bien que l'étude de Heidegger en Chine ait porté à l'origine sur l'Être et le Temps, de nombreux chercheurs se sont penchés sur ses pensées ultérieures, en particulier sur les pensées postérieures aux traditions de la pensée traditionnelle chinoise. Autre exemple : l'implication de Heidegger dans le nazisme et dans d'autres problèmes sont aujourd'hui très populaires dans les milieux universitaires et idéologiques occidentaux ; les universitaires chinois, bien qu'ils soient également concernés par ces questions, ne les considèrent pas comme les plus importantes dans la pensée de Heidegger.

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En outre, Wu Zhengding a souligné dans des interviews que l'importance fondamentale de Heidegger pour les universitaires chinois est qu'il leur fournit une référence particulièrement bonne pour comprendre les traditions philosophiques occidentales. Les érudits chinois croyaient inconsciemment que la civilisation occidentale progressait d'une lumière à l'autre et d'un progrès à l'autre : la Grèce antique était le point de départ et la modernité la fin. Mais Heidegger offre l'image inverse de la pensée. Elle aurait pu être pensée aussi bien à l'époque présocratique, à l'époque des Grecs et des Occidentaux qui, à cette époque, auraient pu avoir une compréhension plus réelle et plus profonde de l'"être", mais la civilisation moderne a oublié cette expérience mentale de l'"être".

En outre, Heidegger est également d'une grande importance chez les universitaires chinois pour comprendre la tradition idéologique de la Chine. Par exemple, les universitaires chinois ont utilisé le cadre de la philosophie occidentale ou de la métaphysique pour comprendre la pensée chinoise. Les chercheurs chinois ont donc toujours douté de l'existence de la philosophie dans la Chine ancienne. La science existe-t-elle ? L'épistémologie et la métaphysique existent-elles ? Les universitaires chinois pensent qu'une partie de la pensée chinoise est éthique et une autre métaphysique, mais quelle que soit la manière dont on l'explique, elle ne correspond pas à la philosophie occidentale, c'est-à-dire à la métaphysique. Mais aux yeux de Heidegger, les universitaires chinois auront le sentiment que la métaphysique occidentale elle-même peut être problématique, et qu'il n'est pas nécessaire de l'utiliser comme condition préalable et standard pour comprendre et expliquer la pensée chinoise, ou pour se plier délibérément à une école ou un système occidental particulier.

Carl Schmitt

Carl Schmitt est un théologien, juriste, philosophe, sociologue et théoricien politique allemand. Schmitt est l'une des figures les plus importantes et les plus controversées de la théorie juridique et politique du XXe siècle, grâce à ses nombreux ouvrages sur le pouvoir politique et la violence politique.

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Dans La notion du politique, Schmitt a écrit que la principale différence en politique est la différence entre amis et ennemis. C'est ce qui sépare la politique de tout le reste. L'appel judéo-chrétien à aimer ses ennemis s'inscrit parfaitement dans la religion, mais il ne peut être concilié avec la politique, qui implique toujours la vie et la mort. Les philosophes moraux se soucient de la justice, mais la politique n'a rien à voir avec le fait de rendre le monde plus juste. Les échanges économiques ne nécessitent que de la concurrence, pas de l'extinction. La situation est différente en ce qui concerne la politique. Schmitt dit : "La politique est la confrontation la plus intense et la plus extrême". La guerre est la forme la plus violente de la politique, et même s'il n'y a pas de guerre, la politique exige toujours que vous traitiez vos adversaires comme hostiles à ce que vous croyez.

Les conservateurs ont été plus attentifs aux opinions politiques de Schmitt que les libéraux. Schmitt pense que les libéraux ne sont jamais devenus des politiques. Les libéraux ont tendance à être optimistes sur la nature humaine, mais toutes les vraies théories politiques supposent que les gens sont mauvais. Les libéraux croient en la possibilité d'un gouvernement neutre qui peut régler les positions conflictuelles, mais pour Schmitt, comme tout gouvernement ne représente que la victoire d'une faction politique sur une autre, une telle neutralité n'existe pas. Les libéraux insistent sur le fait qu'il existe des groupes sociaux qui ne sont pas limités à l'État ; mais Schmitt estime que le pluralisme est une illusion car aucun État réel n'a permis à d'autres forces, comme la famille ou l'église, de s'opposer à son pouvoir. En bref, les libéraux s'inquiètent des autorités parce qu'ils critiquent la politique, ils ne s'impliquent pas dans la politique.

978-1-137-46659-4.jpgLe professeur Xiao Bin a souligné dans son livre "De l'État, du monde et de la nature humaine à la politique : la construction du concept politique de Schmitt", que l'homme lui-même est un être dangereux. "Il prétend que la politique est un danger pour les gens." La question suivante qui se pose lorsque l'on participe à la politique est d'expliquer ce qu'est la politique, en particulier la nature de la politique. La survie de l'unité nationale exige comme condition préalable une distinction entre ennemis et amis. Une politique fondée sur la séparation des ennemis et des amis est non seulement le destin inévitable de l'unité de la nation et de l'État, mais aussi la base de son existence. Schmitt a une compréhension unique de la nature de la politique : la norme de la politique est de séparer les amis et les ennemis. En fait, ce que nous appelons la politique implique la relation entre un ami et un autre, et la différence est l'intensité de cette différence. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer le fait que les origines théologiques les plus secrètes et les plus mystérieuses et le nationalisme allemand ont un niveau de critères différent pour séparer les amis des ennemis.

En matière de politique, l'Est et l'Ouest parlent surtout de la compréhension de la nature humaine. Schmitt a également reconnu ce point : une question fondamentale de la philosophie politique est le débat entre le "mal" ou le "bien" dans la nature humaine. Dans son livre Le concept du politique, Schmitt soutient que les êtres humains sont par nature incertains, imprévisibles et qu'il s'agit toujours d'un problème non résolu. La conception confucéenne chinoise de la nature humaine met davantage l'accent sur le "développement de l'esprit". L'Occident, qui est très différent de l'Orient dans son tempérament spirituel, admire encore plus la "philosophie spirituelle". La civilisation maritime et l'histoire des affaires uniques de l'Occident ont permis à la connaissance et à l'intelligence de pénétrer et de dominer la politique. Selon Schmitt, le "bien" signifie l'existence de la "sécurité", le "mal" signifie le "danger". Le "danger" apporte de la vitalité au monde.

Selon Schmitt, la politique est toujours dominée par la nécessité de distinguer entre amis et ennemis. Les amis et les ennemis ne sont pas créés à partir de rien. Du point de vue de la théorie du contrat social : dans un état de nature, qu'il s'agisse d'un état de coexistence pacifique entre les gens ou d'un état de guerre lorsque les gens vivent ensemble comme des loups, les conflits sont inévitables. Marx a compris que l'État a été créé avant l'antagonisme des classes et que la politique est un produit de la lutte des classes. Cependant, Marx a mis l'accent sur la lutte des classes, et le but ultime est d'éliminer les classes et de supprimer la base économique créée par les classes. Marx a démontré la possibilité de l'élimination des classes, c'est-à-dire la réalisation de la liberté et de la libération de toute l'humanité : le communisme.

imagescs.jpgDu point de vue ci-dessus, la politique émerge des conflits humains et les phénomènes politiques de la société humaine sont inévitablement associés aux conflits et à la coopération. Même si vous comprenez la politique en termes de bonté et de moralité, comme Aristote, elle ne peut pas cacher l'existence du mal. Sous le bien suprême se trouve la crise du mal. L'homme est l'existence de l'incertitude, l'homme est un animal politique naturel, et où qu'il soit, il y aura des conflits. Dans les conflits, il y aura inévitablement deux camps opposés et la politique ne peut pas se débarrasser du conflit... Les deux aspects du conflit et de la confrontation nous donnent une base logique pour la division en amis et ennemis.

Schmitt a une vision pessimiste et négative du monde humain du point de vue de la théologie religieuse. L'état idéal de perfection n'existe que dans le Royaume de Dieu. Même la paix de Dieu serait inévitablement libérée de l'inimitié et des conflits. Ce mysticisme pessimiste détruit le caractère actif et optimiste des gens. Marx appelait la religion l'opium du peuple. La vie politique doit être construite sur la base matérielle d'une époque particulière. Bien que Schmitt ait attaqué le marxisme, sa philosophie politique n'a apparemment pas réussi à se libérer des chaînes de la théologie. Cette recherche de l'éternité et de la métaphysique absolue relie la philosophie politique à de mystérieuses traditions théologiques et souligne le statut absolu des facteurs politiques. La vision politique de l'ennemi et de l'ami fournit une méthode d'argumentation et affaiblit le souci humaniste qui existe dans la tradition de la philosophie politique occidentale.

La vision politique des ennemis et des amis de Carl Schmitt est la clé de notre compréhension de son concept politique. Plusieurs expositions, comparaisons et même arguments autour des pensées politiques de Schmitt sur les ennemis et les amis dans l'histoire ne sont pas sans fondement. Selon la compréhension de Gao Quanxi, il l'a même appelé "un penseur plein de mordant". Sous le couvert du nationalisme, Schmitt a compris la politique comme un ennemi de l'État national et l'a combattue. L'idée de théologie politique indique, à un niveau plus profond, que ce qui distingue les ennemis du Christ et lutte contre eux est la politique. Selon lui, "le lien systématique entre les prémisses théologiques et politiques est clair. Cependant, la participation théologique tend à confondre les concepts politiques car elle fait entrer la division des ennemis et des amis dans le domaine de la théologie morale". Avec une vision aussi pessimiste de la nature humaine, il n'est pas difficile d'adopter une attitude sceptique et jalouse à l'égard de la nature humaine. L'énoncé du mal sexuel dans un sens existentiel souligne que le contenu des actions humaines est entièrement déterminé par des impulsions, comme les animaux, et croit que cela est inévitable en fin de compte, ce qui vient de leur foi chrétienne. La vision politique que Schmitt a des amis et des ennemis est une combinaison de ces deux niveaux.

vendredi, 04 décembre 2020

Cette étrange synthèse entre communisme et nation

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Cette étrange synthèse entre communisme et nation

Par Ambrogio Lusardi

Sur Ernst Niekisch (25 mai 1889 - 23 mai 1967)

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

phpThumb_generated_thumbnailjpgMBNB.jpgIl y a des zones d'ombre dans l'histoire que l’on ne raconte généralement pas; peut-être à cause de la difficulté de les étiqueter, de les insérer dans des schémas préconçus qui facilitent, pour les utilisateurs d'un tel code (les masses), la compréhension de la réalité comme mythe : la réalité de la lutte métaphysique du XXe siècle, la lutte du Bien (l’antifascisme sous ses diverses formes, même si les communistes, et surtout les staliniens, étaient partiellement dénigrés dans ce contexte) contre le Mal (le sulfurisme nazi, satanisé à souhait avec queue velue et ratomorphe, fourche brandie).

Ceux qui, pour une raison ou une autre, sont sortis de la Seconde Guerre mondiale en faisant partie du camp des vainqueurs, ont surtout diabolisé la "question nationale" : en bref, il est normal de chanter l'hymne national pour se donner une miette de patriotisme, mais sans jamais exagérer. La libre circulation des biens et des personnes, qui concerne toujours les marchandises, ne peut être entravée.

Parmi les vainqueurs, en particulier les gauchistes, les idées de patrie et de nation, sous toutes leurs formes, sont aujourd'hui plus que jamais combattues. Et ce n'est pas nouveau, pour vous dire la vérité. Et pourtant, il fut un temps, dans le chaudron idéologique et révolutionnaire bouillonnant de la République de Weimar, quelqu'un tenta l'audacieuse entreprise de combiner sérieusement le communisme et la nation.

Un livre récemment publié - National Bolshevismo - Uomini, Storie, Idee de Marco Bagozzi (Noctua Edizioni) raconte ce cheminement hérétique, inconnu de la plupart des gens. Bagozzi nous promène des hypothèses émises par les intellectuels "révolutionnaires conservateurs" sur le caractère "national" de la révolution bolchevique, pour nous amener aux principaux auteurs du courant idéologique dont question : en particulier à Ernst Niekisch et aux frères Ernst et Friedrich Georg Jünger, qui ont collaboré assidûment à la revue "Widerstand" (Résistance) de Niekisch. Ce dernier est né politiquement en tant que socialiste ; il avait été fasciné par la révolution russe, avait lu Marx et rejoignit bien vite la SPD (le Parti social-démocrate allemand).

Bagozzi écrit que "Niekisch admirait tout ce que les intellectuels marxistes abhorraient à propos de l'Union soviétique : la volonté de produire et de défendre la Patrie, la consolidation héroïque de l'État, l'attitude guerrière et aristocratique des classes dirigeantes". Le thème fondamental de sa production intellectuelle réside également dans la polémique anti-occidentale et anti-latine (en fait, singulièrement similaire à celle formulée par un "latin" contre-réformiste, hostile à l'Europe libérale et "moderne", Curzio Malaparte), au nom de laquelle il espère toujours une alliance avec l'Union soviétique "asiatique" et "barbare". Grâce à une telle alliance, l'Allemagne devrait retrouver ses racines, sous le signe d'un "bolchevisme prussien", et créer un bloc géopolitique radicalement opposé au monde occidental, capitaliste, libéral et bourgeois,individualiste.

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Pour avoir écrit un pamphlet anti-hitlérien, Hitler, une fatalité allemande, et pour ses activités politiques à la fin des années 1930, il fut condamné à la prison à vie, et ne fut libéré qu'à la fin de la guerre ; il rejoignit ensuite la RDA, dont il se détacha par la suite.

Les articles des frères Jünger publiés dans le magazine Niekisch sont également intéressants.

Friedrich Georg théorisa, dans les pages de "Widerstand", un état qui devait être "la quintessence du pouvoir maximum, absolu, transformé en un organisme, dont la croissance et le renforcement justifient tout critère, même le plus violent, le plus cruel". Il a également soutenu la nécessité de "détruire toutes les formes politiques de capitalisme" et de construire le "socialisme allemand", "en brisant le pouvoir de l'argent".

Le plus célèbre des deux frères, Ernst, pour sa part, a décrit le futur État comme « national, social. et militaire ». Et il sera articulé sous une forme « autoritaire ». Il considérait les "nouveaux nationalistes" comme des révolutionnaires "sains, véritables et impitoyables ennemis de la bourgeoisie". A retenir, dans ce contexte, sa célèbre phrase : "Devant la figure du Travailleur, il n'y a pas de place pour le bourgeois", tirée du texte important de 1932 intitulé Le Travailleur, qui fait le duo avec autre texte bref mais dense, La Mobilisation totale.

Dans le livre de Bagozzi, on retrace également l'histoire d'autres intellectuels mineurs du courant étudié : Paetel, Winning, Lass, Boysen ; et on raconte les expériences "bolcheviques nationales" des factions communistes et national-socialistes allemandes, telles que les nationaux-communistes hambourgeois Wolffheim et Laufenberg, les frères Strasser et les SA. Un livre recommandé pour ceux qui veulent explorer les possibilités cachées de l'histoire, et sa "zone d'ombre".

mercredi, 02 décembre 2020

La "nouvelle mythologie" dans la conception politique de Carl Schmitt

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La "nouvelle mythologie" dans la conception politique de Carl Schmitt

Par Luca Leonello Rimbotti

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

"La proximité de Schmitt avec l’exigence romantique d'une "nouvelle mythologie" et la contrainte d'espérer en un "dieu du futur" réside dans la conviction de la perte irrémédiable du fondement transcendant du monde et des sociétés, de la disparition dans les esprits d'une instance ultra-mondaine qui pourrait encore garantir un ordre dans la vie ». Cette phrase de Stefan Nienhaus montre clairement que la pensée de Carl Schmitt, loin de s’épuiser en une théorie juridique, était au contraire une conception véritable et complète du monde. Il souligne ainsi l'importance historique de la pensée de Schmitt (un auteur qui, après être tombé amoureux de nos intellectuels frivoles, les a rapidement remis dans le tiroir des objets dont on ne se sert plus). En fait, Carl Schmitt ne se borne pas à identifier et proposer des techniques de gouvernement pour faire face à la crise de l'Occident. Il met en exergue des pouvoirs de souveraineté charismatique, sans lesquels toute politique est réduite à l'administration et toute administration à la comptabilité.

Un nouveau type de mythe et de "mythologie" aurait donc pris le jus publicum europaeum en déclin pour le replacer au sommet de la chaîne de décision, et pour reconstruire les catégories de l'homme politique non pas sur la base de la subversion laïque libérale, mais sur celles, traditionnelles, d'une "théologie politique". En fait, Carl Schmitt nous dit: nous pensons à un nouveau modèle d'État, tiré des exemples les plus nobles, tiré de forces idéelles transcendantes, comme il y en avait dans le passé. Nous pensons à une nouvelle politique, taillée sur l'idée de la souveraineté sacrée qui était jadis pour l'Europe le secret de toute grandeur.

9783428088058-fr-300.jpgAinsi, Schmitt en est venu à théoriser un État refondu incarnant la décision souveraine, à neutraliser les affrontements destructeurs issus des chocs entre intérêts privés, et enfin, à se positionner comme un tiers supérieur capable de faire prévaloir le dernier mot d'une autorité radicale, exprimée dans l'état d'exception, sur le conflit social. On comprend qu'avec de telles idées, Schmitt était sur une trajectoire de collision avec le conservatisme prussien politiquement hégémonique dans l'Allemagne wilhelminienne, et aussi dans uneplus large mesure dans l'Allemagne de Weimar. Le pouvoir d'État, pour l'école prussienne, plus que l'autorité transcendante, c'était l'autoritarisme immanent, et plus que la synthèse hégélienne des contraires, c'était l'affirmation monolithique d'un principe unique et ossifié. C'est pourquoi Schmitt a considéré le suicide du grand poète prussien Heinrich von Kleist - un adepte de l'idée métaphysique du Reich -, qui a eu lieu théâtralement sur les rives du lac Wannsee, comme le symbole de l'échec historique du prussianisme et comme un effet tragique de ses contradictions. Schmitt a alors développé la conviction qu'une relance de l'Europe était possible mais sur d'autres bases. Sur la base, précisément, d'une théologie politique. Très critique à l'égard de la pensée politique du Romantisme - accusé d'extravagances irréalisables - Schmitt en est néanmoins une parcelle, et ce, au moment même où il pense que la restauration de l'Esprit est possible sur des bases irrationnelles mais objectives. Greffer le point de vue prométhéen d'un nouveau mythe communautaire dans la pratique politique était plus qu'un rêve. Reconnaître le sens cosmologique de la pensée présocialiste d'un Proudhon, ou le sens poético-visionnaire d'un Theodor Däubler comme antécédents du pouvoir politique, peut sembler une rechute de Schmitt dans ces divagations très impolitiques dont il avait accusé le romantisme.

Il y a un fait, un détail biographique, qui peut nous aider à comprendre ce que Schmitt avait en tête après tout. Examinons maintenant le passage qu’il a effectué dans son existence : celui qui part de la position du juriste et conseiller technique, homme de confiance du système autoritaire mais weimarien de Schleicher, à celle d’un conseiller d'État prussien sous le régime d'Hitler. Ce passage révèle tout à la fois la critique que formule Schmitt à l’encontre d'une méthode de pouvoir désormais dépassée par l'histoire, qui n’est plus en contact avec les événements, soit la méthode du vétéran de la vieille Prusse. Et révèle également son attrait pour un principe révolutionnaire qui concevait l'autorité dans un sens charismatique et populaire, selon les postulats implicites d'un communautarisme qui entendait allier tradition nationale et modernité. Le juriste, donc, en principe ennemi des dérives utilitaires de la modernité, préoccupé par l'avancée de la technologie et par la brutale sécularisation des rapports sociaux, se serait trouvé face à la possibilité de construire réellement les bases d'un pouvoir qui réunirait d'un seul coup l'aversion pour le romantisme, représenté par exemple par le vieil Adam Müller, sans nier le noyau de la politique romantique, et plutôt en le renforçant, c'est-à-dire la possibilité de participer à l'érection d'un pouvoir sacré, centré sur le charisme du romantisme.

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Schmitt aurait aussi pensé un équilibre entre théologies prémodernes et eschatologies rédemptrices de la société, telles que les pensaient les utopistes du socialisme pré-marxiste. Le Troisième Reich n'est-il pas en fait apparu comme un régime nouvellement créé mais traditionaliste, basé charistiquement sur le culte du Führer, mais en même temps populaire et communautaire, comme une sorte de socialisme sans Marx ? Tout semblait donc conspirer pour ce rapprochement entre le juriste et le dictateur, qui allait alors, en 1945, coûter à Schmitt la prison et la purge.

Die-Diktatur.jpgLa quadrature du cercle entre le pouvoir hiérarchique et la participation du peuple, entre la figure salvatrice du Guide et l'égalité des droits, a été réalisée par Schmitt à travers l'élaboration d'une sorte de démocratie germanique. Critiquant le concept ecclésiastique de pasteur et de fidèle (ndt : de distinction entre le pasteur « sachant » et actif et les fidèles passifs), Schmitt a écrit dans Staat, Bewegung und Volk en 1934 que "cette vision ecclésiastique est que le pasteur reste absolument transcendant par rapport au troupeau. Ce n'est pas notre concept de la Führung". Le nouveau concept de Führung, de commandement, d'autorité, Schmitt l’a en effet placé dans "l'égalité absolue de la lignée entre le leader et les suiveurs (la suite, die Folge)... Seule l'égalité de la lignée peut empêcher le pouvoir du leader de devenir tyrannique et arbitraire". De ce point de vue de la hiérarchie égalitaire, l'accès populaire aux différents rangs sociaux était garanti par le Führerprinzip, la plate-forme de masse de l'autorité charismatique. L'histoire a donc mis entre les mains de Schmitt un cas concret de théologie politique...

Dans Ex Captivitate Salus, le livre écrit dans la prison de Nuremberg en 1945 et qui représente un de ces moments où "les vaincus écrivent l'histoire", Schmitt a retenu quelques pages relatives à sa célèbre distinction entre Ami et Ennemi, qu'il considère à la base de toute identité forte : ceux qui n'ont pas le bien d'avoir des ennemis, n'ont même pas le bon « heur » de se connaître eux-mêmes. Il est difficile de rester équilibré sur ce sommet, mais c’est néanmoins très indispensable : vivre son ego à travers la diversité de l'autre. Cela signifie se battre pour un monde de différences, présentement détruit, où nous aussi, nous sommes détruits. Schmitt a ajouté une dernière phrase à ces considérations : "Les mauvais sont certainement les annihilateurs qui se justifient au motif que les annihilateurs doivent être anéantis". Que voulait-il dire par là ? N'a-t-il pas pensé aux juges alliés qui l'ont précédé et qui ont accusé les vaincus de crime et de violence, assis tranquillement sur d'immenses ruines, fruits d'autres crimes et d'autres violences ? C'est probablement la vraie sagesse de la cellule. Un testament laissé à l'Europe, mais que les Européens doivent encore – trente-cinq ans après la mort de Carl Schmitt - apprendre à comprendre.

* * *

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Le "Kronjurist" du Reich

Né en 1888 à Plettenberg, en Westphalie, Carl Schmitt a étudié aux universités de Strasbourg (alors allemande) et de Munich, où il a été l'élève de Max Weber. En 1922, il obtient la chaire de droit public d'abord à l'université de Greifswald, puis à l'université de Bonn, et plus tard à celles de Berlin (1926), de Cologne (1932), de nouveau de Berlin (de 1933 à 1945). Il est devenu l'une des personnalités universitaires les plus influentes en Allemagne et a également occupé des fonctions publiques pendant plusieurs années, tant sous le régime de Weimar que sous le Troisième Reich, pendant lequel il a été président de l'Association des juristes allemands. En 1936, cependant, à la suite de certaines controverses idéologiques avec des cercles proches de la SS, il renonce à toute activité en dehors de l'enseignement. Arrêté en 1945 par les Alliés comme l'une des plus hautes autorités culturelles du Troisième Reich, il est emprisonné à Nuremberg et jugé. Absent de tout car empêché de reprendre l'enseignement, il se consacre à ses études et à ses publications jusqu'à sa mort en avril 1985 dans son village natal de Plettenberg. En Italie, après la publication en 1935 des Principes politiques du national-socialisme (Sansoni), à l'instigation de Delio Cantimori, sa pensée est restée inconnue jusqu'à la publication de la première traduction d'après-guerre d'un de ses ouvrages, à l'initiative de Gianfranco Miglio (Le categorie del politica, il Mulino 1972). Il existe aujourd'hui de nombreuses traductions des œuvres de Schmitt. Parmi elles, nous soulignons : La Dittatura (Laterza 1975) ; Romanticismo politico (Giuffré 1981) ; Teoria del partigiano (Il Saggiatore 1981) ; Scritti politico giuridici 1932-1942 (Bacco & Arianna 1983) ; Terra e mare (Giuffré 1986) ; Ex Captivitate Salus (Adelphi 1987) ; Il nomos della terra (Adelphi 1991) ; Teologia politica II (Giuffré 1992). Le livre le plus complet sur la figure et la pensée de Schmitt est J.W. Bendersky, Carl Schmitt théoricien du Reich (Il Mulino 1989).

Extrait de Linea du 19 juin 2005

dimanche, 29 novembre 2020

»Armin Mohler – Denkweg eines Nominalisten « Erik Lehnert und Götz Kubitschek im Livestream

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»Armin Mohler – Denkweg eines Nominalisten « Erik Lehnert und Götz Kubitschek im Livestream

 
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mercredi, 25 novembre 2020

Kondylis on Conservatism with Notes on Conservative Revolution

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Kondylis on Conservatism with Notes on Conservative Revolution

Fergus Cullen

Ex: https://ferguscullen.blogspot.com

Notes on Panagiotis Kondylis, “Conservatism as a Historical Phenomenon.” This is to my knowledge the only substantial excerpt from Kondylis’ Konservativismus (Stuttgart, 1986) available in English. The translation is by “C.F.” from “Ὁ συντηρητισμὸς ὡς ἱστορικὸ φαινόμενο,” Λεβιάθαν, 15 (1994), pp. 51–67, and remains unpublished, but discoverable in PDF format online. Page references below are to that PDF. I have altered the translation very slightly in some places.

Kondylis aims to understand conservatism not as a “historical” or “anthropological constant,” but as a “concrete historical phenomenon” bound to, and thus coterminous with, a time and a place (pp. 1–2). But even such historicist scholarship often takes too narrow a view, according to which conservatism is a reaction against, and thus “derivative” of, the Revolution, or, at best, against Enlightenment rationalism (pp. 2–3).

Kondylis disputes the conception, often a conservative self-conception, of conservatism as an expression of the “natural […] psychological-anthropological predisposition” of “conservative man” to be “peace-loving and conciliatory” (pp. 5–6). On the contrary, conservatism and “activism” are perfectly compatible, as the “feudal right of resistance and ‘tyrannicide,’ the uprising and rebellion of aristocrats against the throne” shows (pp. 7–8). This is a point against the claim by Klemperer and others that the activism of Conservative Revolutionists is fundamentally unconservative.

“[L]ove and cultivation of tradition” as a “legitimation” of noble privileges is an expression of those nobles’ will to self-preservation and “sense of superiority.” Kondylis posits such a universal will, in place of a conservative disposition at war with a revolutionary “urge to overthrow” (at least as concerns the history of ideas: pp. 8–9).

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Kondylis also disputes the self-conception (“idealised image”) of the conservative as uncritically traditionalist and sceptical of “intellectual constructions,” based upon “the erroneous impression that pre-revolutionary societas civilis did not know of ideas and ideologies, both as systematic intellectual constructions and as weapons” (pp. 9–10). Mediaeval “theological” systems are the equals of modern ideologies in “argumentative refinement,” “systematic multilateralism” and “pretension to universal” (or “catholic”) “validity” (p. 10). Conservatism consists in the “reformulation” of the “legitimising ideology of societas civilis” into an “answer” to the Enlightenment and Revolution (pp. 10–1).

Modernity, for Kondylis, comes about, in part through “lively ideological activity,” not as a result of the “anthropological constitution” of certain persons (intellectual disposition), but as an expression of their basic will to self-preservation, which, given their “lack of weighty social power had to be counterbalanced by their pre-eminence on the intellectual front”; and so conservatives responded in kind (polemic, theory, etc.). The partisans of modernity (“foes of the social dominance of the hereditary aristocracy”) made the first crucial step into political discourse in the modern sense, and were thus “much more intensively reflexive,” just as conservatism is generally purported to be (pp. 11–2).

This, “the importance of theory among the foe’s weaponry,” is also the origin of conservatism’s “purely polemical abhorrence” for intellectuality (p. 12). Not only should conservatism’s professed anti-intellectualism be taken as suspect; but in certain intriguing cases, it should be understood as a sort of demonstration of a theoretical understanding of theory’s (intellectuality’s) role in “Progress” (“Decline”). As Kondylis says: “only theoretically could the idealised description of a ‘healthy’ and ‘organic’ society be made which is not created by abstract theories, nor does it need them” (p. 13).

This “vacillation and indecisiveness” of conservatism re. intellectuality, “Reason,” etc. (i.e. this apparent performative—if not contradiction then—tension, ambiguity), mirrors the tension in the intense ratiocination by Mediaeval theology to show the limits of man’s reason, or by Enlightenment sentimentalism or modern Lebensphilosophie to set instinct above intellect (p. 13). This “indecisiveness” (a telling word, when one recalls Kondylis’ contributions to décisionnisme) and the accompanying unsystematicity and proliferous variety of conservative thought is “natural” to “all the great political—and not only political—ideologies” (pp. 13–4; see part 2 here).

49210108._SX318_.jpg“[C]ommonplaces of conservative self-understanding and self-presentation have crept […] into the scientific discussion,” such as “the coquettish enmity of conservatives towards theory.” The prioritization of the “concrete” over the “abstract” is itself, or relies upon, an abstraction (p. 15).

Kondylis dichotomizes “conservative” and “revolutionary” politics (p. 17).

“Prudent and sagacious adaptation to circumstances and conditions, of which conservatives are so proud, is carried out as a rule under the foe’s pressure”; the foe “pushes conservatives to adopt a defensive or good-natured and easy-going stance”; “conservatives discover their sympathy for ‘true’ progress, and […] talk of the dynamic organic development […] of society and of history” (p. 18). Conservatives are compelled to make certain concessions to modernity. To anticipate my own arguments a bit: revolutionary conservatism is a concession, but, loosely speaking, to the form and not the content of modernity. That is, the conservative revolutionary accepts, must accept, industrialisation, the dissolution of “organic society,” the instrumentalisation of man, secular discourse as the space of (even religious) political discourse, “mediatisation,” mass communication, etc., and wishes to put these at the service of “conservative,” “rightist” principles: that is, abstractions from the concrete expressions that gave birth to conservatism.

Sometimes conservative principles are, or seem to be, expressed concretely without conservative effort, or as a result of “the foe’s” effort, who, “by struggling for the consolidation of his own domination, cares for, or is concerned with, compliance with law, with hierarchy and with property (legally or in actual reality safeguarded and protected)—of course, with different signs and with different content” (p. 20). A liberal or democratic, bourgeois or proletarian “conservatism” can form on this basis, opposed, it would seem as a general rule, by conservative revolution (the bifurcation of C.R. and “mere conservatism”).

Both conservatives and revolutionaries posit “natural” laws or a “natural” condition of man; but both struggle to answer, in the conservative case, the apparently natural development of unnatural conditions (Revolution, “Progress,” “Decline”), or, in the revolutionary case, the apparent primordiality of unnatural conditions (inequality, exploitation, etc.: p. 21). We might add that the revolutionary also struggles to answer how, as suggested in the previous paragraph, his own efforts seem to not only lead to such conditions but instantiate, express concretely, his enemy’s, the conservative’s, principles. Here we approach theodicy.

On Kondylis’ model, conservatism is the ideological expression of noble privilege and of “the resistance of societas civilis against its own decomposition”: against the rise of the bourgeoisie, Enlightenment rationalism, democratisation, etc., apparently ending with “the sidelining of the primacy of agriculture by the primacy of industry”; thereafter “there can be talk of conservatism only metaphorically or with polemical-apologetic intent” (pp. 22–3). Schema: conservatism — liberalism — socialism, in which each overcomes the prior term to culminate in a questionable postmodernity in which “every [concept] passes over into, or merges with, another, and none of them are precise,” indicating “that the end of that historical epoch, from whose social-political and intellectual life they partially or wholly drew their content, is, in part, near and approaching, and has, in part, already come” (p. 23).

The reason to posit a conservative-revolutionary current within this categorially confused, and thus not yet quite navigable, postmodernity is that something, a new (proto-) category, does emerge out of and in tandem with the first warning tremors postmodernity (industrialisation and mass democracy: the late nineteenth and early twentieth century, with the Great War as the first in a series of watersheds). To wit, a conscious or subconscious radicalisation and abstraction of conservative principles, at whose service certain aspects of late modernity are put (see above).

Golo Mann on the Conservative Revolution in Germany

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Golo Mann on the Conservative Revolution in Germany

Fergus Cullen

Ex: https://ferguscullen.blogspot.com

Golo Mann’s discussion of the Conservative Revolution in The History of Germany since 1789 (Penguin, 1985) begins with Oswald Spengler, whose positions (anti-Hohenzollern, socialist, anti-progressive, militarist…), mark the beginning of a novel movement, “overthrowing conventional ways of thinking in politics.” For Mann, the C.R. is “confused,” a “strange combination of words,” and yet somehow, perfectly simple: Conservative Revolutionists “rejected not certain aspects of the Republic but the whole of it, and the whole present; they […] wanted to ask completely new questions and offer completely new ideas” (p. 620).

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Their temperament was unsuited to parliamentarism or the new international order, though suited to poetry and the formation of groupuscules (pp. 620–1). Mann provides a perfect, lapidary, aphoristic précis of “the conservative-revolutionary attitude” (Mohler): “They wanted a new Reich without party squabbles, a Reich of the young and of masculine virtues, a great, proud gathering around a camp-fire instead of the capital Berlin. They expected much more from the modern state than it can give them at the best of times” (p. 621). Here we have their anti-parliamentarism, the spirit of the Freikorps (“the Ideas of 1914”), the bündisch spirit. And of course “the best of times,” measured by “quality of life,” which strikes them as the coming of the Last Man: see Leo Strauss on “German Nihilism” Interpretation, 26.3 (spring, 1999), specifically p. 360.

I believe that a thorough investigation, from the perspective either of the histoire des sensibilités or des mentalités, or of the history of ideas, can reveal, and indeed all but has revealed, a conservative-revolutionary essence that is anything but “confused”; but Mann specifies the nature of this “confusion,” at the level of sensibilité, through the case of Ernst Jünger: “We cannot know, and he probably did not know himself, what he wanted, what he feared with compassionate sensitivity and what he only pretended to want. The doubts which tortured his fine mind he hid behind the mask of the inflexible writer-officer who gives his readers orders” (p. 621).

Mann’s is a peculiar though understandable position: Klemens von Klemperer misrepresents him as sceptical of C.R.’s validity as historical category (Klemperer, Central European History, 30.3 [1997], p. 458); but it is rather that, for Mann, the sensibilités and mentalités of a clearly definable current strike him as confused: “one’s head reels in dealing with it” (p. 622). Mann does not quite succeed in making a case for confusion, so to speak. He asserts “an unusual confusion of aims”; the reader is to understand that their “hyper-modern view” and classical “absence of emotion,” “hardness and brittleness” are at odds with their romantic, neo-mediaevalist idealisation of the Hohenstaufen, etc. (ibid.). I repeat my formula in return: conservative revolution is an abstraction and radicalisation of conservative principles necessitated by the completion of (“early”) modernity with industrialisation and democratisation, and the arrival of (“proto-”) postmodernity. (See my previous notes on Stefan Breuer and Panagiotis Kondylis.)

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Mann says that for the Conservative Revolutionists, “ideas, of which there was an abundance in Germany, were less important than character, activity and life” (ibid.). Two elements. First, as Kondylis describes, with the intensification of modernity, ideas, ideology, discourse, reason, etc., in the contemporary understanding of these terms, become the more and more the medium of politics. This is perhaps a characteristic of “the best of times”: a shift away from force and towards at least the appearance of reason. Second, in revolting against these “best” of times, Conservative Revolutionists at least make an appearance of disdaining ideas, ideology, discourse, reason, etc.; but again, as Kondylis describes, this was a “purely polemical abhorrence”; “only theoretically could the idealised description of a ‘healthy’ and ‘organic’ society be made which is not created by abstract theories, nor does it need them.”

Finally, Mann describes succinctly and helpfully how party politicians like von Papen tried to “woo” these troublesome young anti-parliamentarians, and how, with economic crisis and the failure of the party system, alliance between Conservative Revolutionists and the “average Conservative” was “much talked about”; but how ultimately “[i]t was absorbed and ruined by the real, anything but ‘conservative,’ revolution which now began in earnest” (p. 623)—National Socialism, that is. Mann does not elaborate on this “absorption”; but two camps emerge in the literature. For the professed Conservative Revolutionists Rauschning and Mohler, C.R. and N.S. are quite distinct, even if there were moments of collaboration, and ultimately defection. For Leo Strauss, whose own relationship to the movement is ambiguous, both C.R. and N.S. are expressions of an underlying current of “German nihilism.”

Postscript. On Nietzsche: “Balanced essays were replaced by aphorisms, thrown out like orders” (p. 397). Compare this to his characterisation of Jünger (“orders”). Mann does not deal with Nietzsche as proto-Conservative Revolutionary. He dispenses with C.R. as Nietzscheanism with a disparaging tacit allusion to Baeumler (p. 402). But his choice of the same word in these instances implies the continuity. Part of that continuity is Nietzsche’s and the latter right-Nietzscheans’ rejection of discourse: a meta-discourse about, and sceptical of the use of, discourse.

vendredi, 13 novembre 2020

»Ernst von Salomon« - Erik Lehnert und Götz Kubitschek live aus Schnellroda

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»Ernst von Salomon« Erik Lehnert und Götz Kubitschek live aus Schnellroda

 
Unsere Veranstaltung zu »125 Jahre Ernst Jünger« war als Live-Schaltung aus Schnellroda ein großer Erfolg. Hier geht es nun in die zweite Runde: Kubitschek und Lehnert sprechen über den bedeutenden Kultautor Ernst von Salomon.
 
 
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vendredi, 30 octobre 2020

»125 Jahre Ernst Jünger« Götz Kubitschek und Erik Lehnert würdigen Jüngers Geburtstag

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»125 Jahre Ernst Jünger«

Götz Kubitschek und Erik Lehnert würdigen Jüngers Geburtstag

 
 
Der Vortragsabend »125 Jahre Ernst Jünger« wird wegen der Corona-bedingten Verlegung im Live-Stream übertragen.
 
 
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»Das Buch im Haus nebenan« Götz Kubitschek über Ernst Jünger – Das abenteuerliche Herz

 
 
 
Das Abschlußkapitel aus dem "Buch im Haus nebenan" von Ellen Kositza und Götz Kubitschek. Am Buch beteiligt haben sich außerdem Martin Sellner und Caroline Sommerfeld, Erik Lehnert und Benedikt Kaiser, Heino Bosselmann, Thorsten Hinz und Martin Lichtmesz. Jeder von ihnen stellt fünf lebensverändernde Bücher vor.
 

mardi, 20 octobre 2020

Carl Schmitt and the Development of Conservative State Theory in China

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Carl Schmitt and the Development of Conservative State Theory in China

Seminar Series: Greater China Legal History
Organized by: CUHK LAW
 
Speaker: Prof. Ryan Mitchell
Date: 9 October 2020
 
 
Over the last decade or so, China’s Supreme People’s Court and the country’s political leaders have consistently rejected the idea of a “judicialized” Constitution, allowing individual litigation.
 
At the same time, the government has also been more vocal and emphatic than ever before in endorsing the national Constitution’s practical and symbolic importance. Is it really possible to endorse “constitutionalism” without endorsing judicial review? If so, how? Arguably, both Anglo-American liberalism and Marxism fail to provide a model for such an approach to constitutionalism—but other traditions, including German conservative state theory, have helped to fill the gap.
 
In discussing the reception of this body of thought in China, this lecture will focus specifically on the role of Carl Schmitt, the controversial but still influential jurist who argued for Executive “dictatorship” after World War I, was a leading critic of liberalism, and later was disgraced after choosing to collaborate with the Nazi regime.
 
Although Schmitt’s political choices have made him an uncomfortable source of guidance in China as elsewhere, his unique and thorough arguments about public law and politics continue to provide him with global influence. From issues of territorial sovereignty to the balance between different institutions of government, Schmitt’s version of constitutionalism can help to explain various developments in modern China’s legal order, and even some similar trends worldwide.

mardi, 13 octobre 2020

Soldiers, Anarchs, and Ideologues

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“Soldiers, Anarchs, and Ideologues” 

I have a contribution to this titled “Nietzsche vs. Hitler: Anti-Nazism on the German Revolutionary Right.”

Copies of SOLDIERS, ANARCHS & IDEOLOGUES: HEROES OF THE CONSERVATIVE REVOLUTION are 175 pages in length and cost just 20 EUROS with free postage to anywhere in the world. The PayPal address is blackfrontpress@yahoo.co.uk and you can find more details below.

AFTER the tremendous success of our two-volume series, Eye of the Storm, Black Front Press has decided to widen its scope a little and feature one or two examples of those who pursued similar ideas elsewhere. Rather than confine our study to Germany, therefore, this latest volume includes Conservative Revolutionary trends from countries as far afield as Portugal and China. We are certain that this book will provide you with both a sufficient grounding in the subject concerned and a springboard from which to inform and enhance your own thoughts and actions.

Chapters include

Unity in Diversity: Ernst Jünger and the Importance of Multiplicity;

Chiang Kai-Shek: Revolutionary Conservative;

The Marburg Speech;

A Critical Look at Jünger’s Workerism;

The Fortunes of War: A Curious Link Between Otto Strasser and Walter Benjamin;

Nietzsche vs. Hitler: Anti-Nazism on the German Revolutionary Right;

Oswald Spengler and History as Destiny;

Life as an Anarch;

Parallels in Mannheim, Jünger and Gramsci;

The 20th July Conspirators: ‘Traitors’ to Tyranny, Heroes of Geheimes Deutschland;

Life, Death and Will: Echoes of Jünger in Stefan Zweig;

Sardinha’s Path to Tradition: Counter-Revolution, Monarchy and a Republic of Free Men;

The Hand of Mystery: Spengler and Prophecy;

Ernst Jünger and the Myth of Cultural Marxism;

From Ernst Jünger to Armin Mohler: An Interview with Robert Steuckers;

Ode to Spengler;

Work and Power: Jünger’s Debt to Stirner;

Walter Benjamin: Unlikeliest of Revolutionary Conservatives.

The contributors are Troy Southgate, Robert Steuckers, Tomislav Sunic, K.R. Bolton, Keith Preston, Richard J. Levy, Manuel Rezende and Sean Jobst.

vendredi, 25 septembre 2020

Le Questionnaire d’Ernst von Salomon, ode à l’indépendance d’esprit

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Le Questionnaire d’Ernst von Salomon, ode à l’indépendance d’esprit

par Oscar Dassetto

Ex: http://juanasension.com

 
Ernst von Salomon est né en 1902 en Allemagne, où il est mort en 1972. Il est l’auteur d’une quinzaine de romans (qui ne semblent pas tous avoir été traduits en français) d’inspiration autobiographique. Quand von Salomon publie Le Questionnaire (1) en 1951 (son premier roman après-guerre) chez son éditeur historique, Rowohlt, sa renommée est déjà à peu près établie. Mais aucun de ses ouvrages précédents n’a connu le succès fulgurant du Questionnaire – succès mérité car c’est un immense roman. Celui-ci couvre principalement, sans toutefois s'y limiter, les années 30 et la Seconde Guerre mondiale.

Son originalité formelle, immédiate, tient dans sa construction : le roman est bâti suivant le canevas d'un questionnaire. Plus précisément un questionnaire élaboré par le Gouvernement militaire allié des territoires occupés, l'entité britannico-américaine qui administre l'Allemagne de la fin de la guerre jusqu'en 1949, et auquel est sommé de répondre Von Salomon. Cette originalité formelle n'est pas artificielle, puisqu’elle s’inscrit dans le fameux «pacte autobiographique» (Von Salomon s’est effectivement trouvé contraint de remplir le questionnaire en 1945, dans le cadre de la campagne de dénazification menée par les Alliés), ni gratuite, puisqu'elle fournit à l’auteur le prétexte narratif pour dérouler un récit extraordinairement exhaustif de sa vie. Aux premières questions assez habituelles («Nom», «Prénom», «Date et lieu de naissance» qui donnent lieu à de truculents développements généalogiques), succède une salve de plus en plus serrée où tout est sondé : soutien éventuel apporté aux nazis, rôle dans leur émergence et leur accession au pouvoir, agissements pendant la guerre... Dénazification oblige, les cent trente et quelques questions du questionnaire passent tous les aspects d’une vie au crible : activité politique bien sûre, mais aussi séjours à l’étranger, langues parlées, étude et formation, famille, sources de revenu et employeurs, engagement bénévole ou associatif... Pouvait-on rêver mieux, pour un récit autobiographique ?

imagesevsfr.jpgDe ce fait le roman présente un intérêt historique évident, qui tient pour une large part à l’acuité de son auteur et à ses ambiguïtés – surtout pour nous autres, lecteurs contemporains, à qui la Seconde Guerre mondiale apparaît volontiers comme un affrontement manichéen qui rend impossible une compréhension exacte de ses ressorts historiques.

Ernst von Salomon a l’immense mérite de déployer une pensée originale qui laisse peu de place à ces effets de manche. Il affirme par exemple qu'il ne serait démocrate pour rien au monde et qu’il se méfie de la démocratie plus que de tout autre système – avant de justifier par là son aversion pour le nazisme : selon lui un avatar à la fois tardif et désastreux de la démocratie (p. 480).

Le nœud qui offre le plus de résistance à cet égard demeure sa condamnation pour complicité dans l'assassinat de Rathenau, en 1922.

Walther Rathenau, grand industriel, issu d’une famille juive et fraîchement nommé ministre des Affaires étrangères après avoir été ministre de la Reconstruction, est un soutien éminent de la République de Weimar, accusée par les nationalistes d’être le faux-nez d'une soumission totale aux exigences des vainqueurs de 1918. Rathenau, qui incarne donc aux yeux des nationalistes toutes les forces «anti-nationales», devient une cible de choix. C’est l’organisation Consul, un groupe auquel appartient von Salomon, qui projette l’assassinat, en espérant précipiter la chute du gouvernement et de Weimar. Von Salomon, qui sera condamné à cinq ans de prison pour complicité (condamnation qui porte sur la mise à disposition d’un véhicule pour les auteurs de l’assassinat), contestera formellement et inlassablement que l'assassinat eût été motivé par l'antisémitisme. Il insiste d'ailleurs dans son roman sur la distance qu'il prend d'emblée vis-à-vis du «parti national-socialiste des travailleurs allemands», dont les effets de masse l'effraient. Courage des écrivains qui écrivent en 1951, direz-vous, mais, au moins pour la forme, donnons à son œuvre autobiographique un peu de crédit, sans quoi tout l'édifice s'effondre comme un château de cartes.

D’ailleurs, savoir si l'objet de ce roman est de réhabiliter son auteur est une discussion qui a toujours cours, du moins en ce qui concerne un éventuel ressort antisémite dans l'assassinat de Rathenau (voir Pierre Giraud, La transfiguration suspecte d'un bouc émissaire : Walter Rathenau vu par Ernst von Salomon, revue Germanica, n°2, 1987, pp. 81-98). En revanche, il ne s’est jamais engagé aux côtés des nazis (ce qui nous paraît une étrangeté aujourd’hui : pouvait-on être nationaliste allemand et s’opposer à Hitler ?) – c’est même la raison pour laquelle von Salomon, sur qui des soupçons se portent en 1945, est relâché après un an de détention par les Américains, qui concluent à une accusation erronée.

71vN668AEEL.__BG0,0,0,0_FMpng_AC_UL600_SR375,600_.pngLa condamnation pour complicité dans l'affaire Rathenau est toutefois décisive : la prison sera rétrospectivement une chance à plus d'un titre. Pour notre bonheur, d’abord, parce que cet épisode fournit le prétexte à certaines des pages les plus drôles du roman, von Salomon traitant de la vie carcérale avec un humour féroce, se réjouissant par exemple de pouvoir écrire en toute sérénité sans avoir à se soucier ni du gîte ni du couvert ; pour le sien, ensuite, parce que ce séjour en prison empêche sa réintégration au grade de sous-officier dans la Wehrmacht, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate (von Salomon appartient au corps royal des cadets, une expérience décrite dans le roman Les Cadets). Il peut ainsi se maintenir simultanément à l'écart de la politique, du front (il travaille pendant ces années dans l'industrie cinématographique) et par voie de conséquence, de la potence, une fois la guerre perdue.

À ce titre, Le Questionnaire constitue indéniablement une ligne de crête où l’on chemine sans jamais basculer, chaque impulsion d’un côté se trouvant aussitôt compensée par la suivante, de l’autre. Nationaliste, antinazi, antiaméricain (il décrit minutieusement son année de détention dans un camp américain en 45-46, qui lui laisse un souvenir cuisant – l’Histoire telle qu’elle nous apparaît garde peu de traces des exactions des Alliés), complice de l'assassinat d'un ministre juif mais compagnon d'une juive, intellectuel engagé pour la cause paysanne, militaire, bon vivant, dandy écrivain, esprit romantique (parfois romanesque) terriblement cynique, prudemment demeuré à l'écart après un engagement radical…

On ne peut nier qu’il témoigne d’une liberté d’esprit certaine, qui éclaire sa réticence déclarée à rejoindre les meutes de tous ordres ou à suivre les injonctions idéologiques totalitaires.

En tout bonne foi (et pour éviter que cette note ne tourne résolument à l’hagiographie), on peut aussi souligner ce que cette attitude, pas complètement dénuée d'égoïsme ni d’un relativisme complaisant, peut avoir de contestable (après tout, il ne s’est pas non plus résolument engagé contre le nazisme) : toujours ménager la chèvre et le chou, c’est aussi se prémunir contre les mauvais procès ultérieurs, parer d’avance ce qui pourra être retenu contre soi; un épicurisme bon teint, «tua sine parte pericli» (Lucrèce, De rerum natura, livre II).

Une posture qui lui permet tout de même de jouir d’une faculté d’analyse peu commune. Son regard pénétrant éclaire souvent d’une lumière crue notre propre actualité (et confirme, si l’on en doutait, qu'une part au moins significative de nos débats contemporains est en fait assez poussiéreuse...) : «Il est vrai que les problèmes existant au sein du mouvement national ne furent que très peu discutés à l'époque. [...] Mais la possibilité de parler de ces choses [...] semblait aux grands journaux une espèce de trahison, un aveu que la discussion s'était déplacée vers la droite. Et, dans la situation d'alors, cela était considéré comme un avantage immédiat pour Hitler, tandis qu'aujourd'hui nous en jugeons différemment» (p. 480). Chagrine lecture, quand on s'inquiète matin et soir, dans nos médias et tout bord confondu, de «faire le jeu» de ceci ou de cela.

unnamedevsq.jpgOn sent bien que la politique dans son sens le plus noble, celle qui s’attache aux États et aux peuples, est un tropisme de Von Salomon, et la politique occupe évidemment le devant de la scène dans la période; pourtant Le Questionnaire ne s'y résume pas, loin de là. Outre le récit des différents épisodes de la vie de l’auteur, on y trouve de nombreuses réflexions sur l'art, l'écriture et la littérature, sur l'Histoire, la société, la culture. Von Salomon est aussi un bon vivant, qui aime manger, boire, séduire, conduire des voitures avec une «gueule chromée», plutôt cigale que fourmi, et qui nous offre à l’occasion des saillies authentiquement rabelaisiennes.

Le mordant d’un Anglais

La nécrologie publiée par Le Monde à la mort de l’auteur, en 1972 (accessible gracieusement ici) s’intitule Un maître de la rancœur et commence ainsi : «Ce n'est pas le vieux monsieur corpulent et chauve, «pacifiste» et «verbeux» que l'on rencontrait, ces dernières années, près de Hambourg; ce n'est pas lui qui survivra, mais l'auteur amer et puissant des Cadets et des Réprouvés». Le titre me semble injuste et trompeur. Ce qui apparaît lumineux dans Le Questionnaire, écrit à un âge plus avancé que les deux ouvrages précités, c’est justement ce «regard sans haine porté sur le monde» (Miyazaki, Princesse Mononoké, 1997). C’est l’ironie qui domine, même quand elle est mordante, et si le roman n’est exempt ni d’amertume, ni d’un je-ne-sais-quoi d’aigre-doux dans l’évocation des souvenirs heureux, il n’est jamais question d’une bile revancharde, d’un esprit pétri de regrets et de frustration – jamais question de «rancœur» à vrai dire, du moins entendue comme un dégoût. La rancœur paraît d’ailleurs incompatible avec la réserve qu’il se ménage, où l’on devine plutôt le vague à l’âme d’un observateur désabusé que l’acide ressentiment d’un homme privé des moyens d’agir.

À l’appui de cette thèse on peut citer le cynisme et l’humour omniprésents, à la fois dans l’écriture et dans la construction narrative (dont on se propose d’explorer l’habileté, bien réelle, à la fin de cette note).

Que ce soit pour souligner la bonhomie sanguine et la roublardise de son éditeur, Rowohlt (lequel rappelle périodiquement à Von Salomon que les ventes de son dernier ouvrage ont été décidément très décevantes, couvrent à peine l'avance consentie, mettent l’éditeur en grande difficulté… juste avant de s'enquérir avec empressement du prochain bouquin sur lequel il planche), ou pour évoquer un petit village saturé de gradés de la SS mis en déroute par la progression des Alliés et tout penauds de n’avoir pas un troufion sous la main, von Salomon fait preuve d’un authentique sens de l’absurde, y compris dans le récit des événements les plus tragiques. Un humour qui n’est pas sans rappeler le flegme britannique; certains passages feraient sans peine illusion chez Saki.

Mais si von Salomon est un merveilleux conteur, l'anecdote, ici, relève moins de l’excursus ou de la décoration accessoire que de la trame réelle : elle forme un réseau de dentelle, une trame minutieuse et virtuose voire, parfois, un roman dans le roman.

51ce+8APOQL._SX334_BO1,204,203,200_.jpgVon Salomon consacre près de quatre-vingt pages (642-722) à un séjour en terres basques, du côté de Saint-Jean-de-Luz (le questionnaire s'intéresse à ses séjours à l'étranger) où il fait la connaissance de Mayie, avec laquelle il entretient une relation avant de regagner l'Allemagne. Ce roman dans le roman, évocation nostalgique d'un paradis perdu, s'intercale de façon presque surréaliste entre les derniers moments du régime nazi et l'entrée des Américains dans une Allemagne défaite, et s'imprime dans ce long récit comme un songe – et c'est sans doute comme un songe que ce souvenir est resté à von Salomon, qui écrit : «Mais quand je pense à Mayie, je pense à la France et quand je pense à la France, je pense à Mayie. Ô douce Mayie, Ô Sainte France ! Vous m'avez donné le rêve de ma vie, les grandes vacances de ma vie» (pp. 719-720). Le sentiment qui s’en dégage s’approche de celui que suscite le dernier moment de L’Éducation sentimentale. Ceux qui l’auront lu se souviendront sans doute du vertigineux saut dans le temps que ménage Flaubert à la fin du roman. Proust, à ce propos, écrit en 1920 (À propos du style de Flaubert, in La Nouvelle revue française) : «Sans l’ombre d’une transition, soudain la mesure du temps devenant au lieu de quarts d’heure, des années, des décades». Eh bien cet «abîme» qui s’ouvre et nous laisse justement contempler, amer, la folie d’une vie qui s’est écoulée avec fulgurance et qui contenait, avec le recul, beaucoup plus de vide que de matière – c’est le sentiment qui surnage ici.

Son écriture, il le revendique lui-même, est sans doute assez spontanée plutôt que le fruit d'un long et laborieux travail. Néanmoins, n’étant pas germanophone et n’ayant donc aucun moyen de comparer la version originale et la traduction, je dois me contenter de saluer le travail du traducteur, qui livre un texte dans une langue soignée et précise.

Effet théâtral et transgression des genres

Avertissement au lecteur : si l’on s’est efforcé de donner jusque-là un peu de tenue à cette note, ce qui suit n’obéit plus à aucune loi. C’est, au choix, un ballon d’essai lancé dans la stratosphère ou une baudruche un peu crevée qui s’amollit dans le reflux sur une plage de la Manche.

Il faut donner à l’articulation du récit autour d'un questionnaire toute la portée qu'il mérite : Le Questionnaire n'est pas seulement un récit autobiographique (définition qui soulève aussi des questions, voir ci-après) ou un témoignage historique, ni même une collection d'anecdotes amusantes : c'est une œuvre intrinsèquement littéraire de très haute volée. Von Salomon incorpore en fait à son Questionnaire une part théâtrale sensible et, au-delà, s'affranchit dès lors de nombreuses conventions.

En premier lieu, parce qu'il parvient à mettre en œuvre ce que l'on appelle au théâtre la double énonciation : tout personnage, lorsqu'il prend la parole, s'adresse simultanément à un autre personnage (qui peut être lui-même, dans le cas d'un monologue en aparté) et au spectateur. Ici, cette double énonciation se retrouve dans la coexistence de deux destinataires.

D’abord, le Gouvernement militaire allié, qui n’est pas qu’un simple personnage : c’est le destinataire réel, historiquement situé, du questionnaire, et c’est aussi celui, annoncé, du récit – sa présence structure ainsi l’ensemble du roman. C’est d’ailleurs lui qui «ouvre» l’espace romanesque, dans les premières lignes du livre (p. 23). La notice qui accompagne le questionnaire y est reproduite. Il y est notamment écrit en anglais puis en français : «AVERTISSEMENT : Lisez attentivement le questionnaire entier avant de le remplir. En cas de doute, le texte anglais prévaudra» (en anglais : «The English language will prevail if discrepancies exist»). Tout est fait pour qu’on prenne ce texte au mot, comme une transcription historique, factuelle – tout est fait pour indiquer que ce n’est pas la voix du narrateur (pas l’ombre d’un «je» ici). Le Gouvernement militaire allié joue en fait ici un rôle voisin du correspondant dans un roman épistolaire. Ce n’est pas qu’un objet du récit, mais bien, dans le dispositif narratif, un sujet à part entière qui agit sur la construction romanesque elle-même, un simulacre de co-auteur.

Ensuite, le lecteur, qui possède dans le récit une présence singulière, une présence qui découle en particulier de l’intention autobiographique du Questionnaire, car l’ambition d’en faire un témoignage implique une conscience de la réception de l’œuvre au sein même de l’œuvre. Dans un roman ordinaire, le lecteur observe la fiction comme un poisson dans un aquarium, il n’est lui-même qu’accessoire par rapport au récit. Ici, il joue un rôle actif. Il ne peut pas se contenter de lire et de refermer l’ouvrage en demeurant étranger à ce qui s’y joue, car ce qui s’y joue c’est précisément la réception. Pour le dire autrement, il existe dans l’intention autobiographique ce qui existe dans la notice d’utilisation de votre lave-vaisselle : une place prédominante, limpide, accordée à qui va lire le contenu qui s’y trouve – parce que le contenu qui s’y trouve vise explicitement à informer le lecteur, au sens de : lui imprimer une forme (la capacité à utiliser un lave-vaisselle dans un cas, à connaître ou comprendre des faits historiques dans l’autre).

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Pour vous en convaincre, vous pouvez regarder le sketch Le Mode d’emploi de Dany Boon, où c’est précisément l’irruption de la fiction dans la non-fiction qui constitue le ressort comique. L’auteur du mode d’emploi que parodie Dany Boon, persuadé que personne ne le lira de bout en bout, choisit de laisser libre cours à son intuition artistique et d’intercaler une romance érotique de son cru entre deux chapitres. Il y a donc bien, à l’origine, une conscience aigüe du lecteur – et dès que celle-ci disparaît, le récit tout entier bascule; il devient autre chose.

Cette collusion entre le lecteur et le récit n’est pas que formelle, elle s’incarne aussi dans l’écriture et ici surtout par le biais de l’ironie, qui joue chez von Salomon le rôle de l'aparté dans le théâtre, un clin d'œil appuyé en direction du spectateur qui passe outre le «quatrième mur». À titre d'exemple, au début du récit, l'auteur évoque sa ville natale de Kiel, au bord de Baltique, et répète à l'envi la teneur en sel de l'eau du canal qui baigne le port, «(1,5 %)», toujours entre parenthèses, comme un pied-de-nez à la minutie du questionnaire élaboré par le Gouvernement militaire allié, mais coup de coude à l'intention du lecteur qui décèle ainsi d'emblée le double niveau du discours.

Et à la fin, page 721, en réponse à une question sur les langues étrangères maîtrisées et alors qu'il indique parler anglais, von Salomon écrit : «Je crois nécessaire de parler allemand avec les Anglais et les Américains, surtout aussi longtemps que la version anglaise prévaudra; en cas de doute, if discrepancies exist» dans une allusion mordante à l’avertissement qui ouvre le roman. Un sarcasme qui lui permet bien sûr de réaffirmer son attachement national et de régler ses comptes, mais qui s'adresse avant tout au lecteur – l’insolence d’une telle réponse étant évidemment inconcevable dans une adresse réelle au Gouvernement militaire allié. (Elle ouvre toutefois d’autres perspectives sur la revanche et le triomphe symboliques dans l’œuvre de fiction, si quelqu’un souhaite se porter volontaire…).

Enfin, on retrouve dans le Le Questionnaire ce que l'on appelle «triple identité» (l'auteur, le narrateur et le personnage principal ne font qu’un), qui est le propre de l'autobiographie.

51G5Nv2z5uL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgOn constate qu’avec une très grande intelligence littéraire, Von Salomon a donc ménagé la présence de ces trois pôles dans le récit (le Gouvernement militaire allié, le lecteur et lui-même), de sorte qu’ils apparaissent d’intensité à peu près égale et que l’un n’écrase pas les deux autres. Pour ce faire, il fallait accentuer démesurément la présence du Gouvernement militaire allié (aidé par son existence historique mais qui demeure, des trois pôles, le plus fragile) – raison pour laquelle il structure si profondément l’ensemble du roman – et il fallait forcer le lecteur à entrer dans le bocal, donc le faire déchoir de sa position confortable mais lointaine d’observateur, de destinataire naturel à qui tout est acquis. Raison pour laquelle son horizon d’attente est trompé : alors que le genre autobiographique invite le lecteur à se croire légitimement destinataire («Je veux montrer à mes semblables...», dit Rousseau dans l’incipit des Confessions), Von Salomon lui coupe l’herbe sous le pied et semble lui substituer le Gouvernement militaire allié. Il fallait enfin circonscrire la place démiurgique de l’auteur, une illusion que von Salomon parvient à donner dès lors qu’il semble se conformer aux injonctions du questionnaire, comme s’il n’était pas maître du récit.

On obtient donc bien trois pôles d’intensité semble-t-il équivalente, c’est-à-dire, comme au théâtre, un système à trois sommets reliés entre eux par deux discours, deux «énonciations» qui se juxtaposent : entre Von Salomon et le Gouvernement militaire allié (d’un personnage de la pièce à l’autre), et entre Von Salomon et le lecteur (d’un personnage de la pièce au spectateur).

Bien d’autres éléments laissent penser que Von Salomon joue en permanence sur ces effets de transgression. Chaque tête de chapitre reproduit par exemple, sous la forme d'un tableau, la ou les questions dont le chapitre qui s'ouvre constitue la réponse. Une pratique qui passerait pour « anti-romanesque » auprès des plus conservateurs ! En toute bonne logique d'écrivain, on se serait attendu à trouver une description du questionnaire, même sommaire, mais non une représentation graphique. Imagine-t-on Balzac intercaler entre les chapitres de la Peau de chagrin un dessin de la peau avec son incantation au milieu, rétrécissant petit-à-petit ? Von Salomon, lui, s’affranchit allègrement de la convention tacite (et sans doute parfois un peu ridicule...) selon laquelle seul le texte, et rien que le texte aurait le droit d’être employé dans un roman. Cet artifice historicisant lui permet par ailleurs d’accentuer l’effet de réel qu’il donne à son récit – un effet de réel, c’est-à-dire bel et bien une fiction : Le Questionnaire n’est pas un livre d’histoire, encore moins un documentaire.

C’est un roman qui brouille de nombreux repères, parce qu’il s’étend comme une toile dans toutes les directions. D’apparence assez simple, toute son architecture repose en fait sur un réseau complexe de dépendances qui s’influencent mutuellement.

Je vous avais bien dit que c’était un immense roman.

Une autobiographie, vraiment ?

Ce qui précède démontre assez bien, je l’espère, la nature intimement et vastement littéraire du Questionnaire. Les ressources de la fiction qui y sont mises en œuvre occupent une place extraordinairement importante, et même excessivement importante si l’on se borne à considérer que c’est une «simple» autobiographie. Le terme «autobiographie» n’est-il pas trop étroit, étriqué même, incapable de contenir un roman pareil ? N’a-t-on pas le sentiment que quelque chose de fondamental nous échappe quand on dit du Questionnaire que c’est une autobiographie, comme on le dirait des Confessions, de la Promesse de l’aube, des Mémoires d’outre-tombe ? Et peut-on se contenter du terme indistinct de roman quand la part autobiographique y est si importante ? Quoi, alors ? Un attelage pataud, du style autobiographie romancée, roman autobiographique, fiction autobiographique ?
Ou alors, auto… fiction ?

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C’est Doubrovsky, en cherchant à définir le genre auquel il souhaite rattacher son texte, qui le baptise en 1977, en quatrième de couverture de Fils. Il écrit : «Autobiographie ? Non, c'est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style. Fiction, d'événements et de faits strictement réels; si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. Rencontres, fils des mots, allitérations, assonances, dissonances, écriture d'avant ou d'après littérature, concrète, comme on dit musique. Ou encore, autofriction, patiemment onaniste, qui espère faire maintenant partager son plaisir.»

Laissons de côté les figures de style un peu douteuses (renversement du complément, juxtaposition de paronymes et d’homonymes...) et nous avons l’essentiel : une définition de l'autobiographie, une autre de l'autofiction. Il faut bien que Doubrovsky donne de l'espace à la seconde (elle vient de naître après tout), donc qu’il limite les prétentions de la première, qui se retrouve ainsi bêtement cantonnée à trois maigres principes. Pourtant, en évoquant un «privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style», Doubrovsky semble avoir à l'esprit, et de manière assez nette, un tout autre genre, un « sous-genre » de l'autobiographie si l'on veut : les Mémoires. Synecdoque coupable : en effet, il soupçonne fort bien que le genre autobiographique puisse avoir un empire assez vaste pour englober le territoire délimité par l'autofiction, et rendre ainsi la définition de cette dernière inopérante. De même, à l'autre bout du spectre, à moins de considérer qu'il puisse exister un roman comme production strictement objective, sans aucun lien (et sans variation dans l'intensité de ce lien) avec la vie de son auteur... Eh bien, n'importe quelle définition du roman pourrait convenir au genre littéraire inauguré par Doubrovsky.

En fait, on pourrait très bien imaginer que l’intérêt de l’autofiction ne serait pas exactement littéraire. Elle pourrait ne servir qu’à affranchir l’auteur, le décharger d’avoir des comptes à rendre sur ce qu’il écrit : si on l’accuse d’infamie, de travestir des faits, «fiction !» répond-il; et si l’on dénie à son ouvrage toute prétention sur la réalité, si on tolère ses mains pures parce qu’on lui refuse d’en avoir : «autofiction !»

Pourtant, Le Questionnaire forme un cas-limite intéressant, à l'intersection quasi parfaite de toutes ces définitions. Von Salomon revendique le fait de ne pas être un écrivain de fiction, et de n'avoir jamais écrit que ce qu'il connaissait d’expérience. Il construit pourtant son récit avec tous les outils de la fiction, et pas des moindres. Le recours à l’architecture du questionnaire constitue un «effet de formel» comme on rencontre des effets de réel : un artifice destiné à donner l’illusion de l'objectivité alors que Von Salomon joue constamment avec ses limites. Ainsi incorporé, le questionnaire perd en fait quasiment tout de sa substance réelle et gagne l'essentiel de sa portée romanesque. On le transmue, comme dans un grand creuset alchimique, pour n’en conserver que la valeur de décalage par rapport au reste du récit. Et c'est précisément l'une des caractéristiques du roman que de pouvoir tout avaler, tout engouffrer sans distinction. Une telle plasticité, que von Salomon exploite à fond, n’excède-t-elle pas le genre autobiographique ? Ne se trouverait-il pas un peu plus à son aise un peu plus loin, avec un pas de côté, à cheval, au milieu, dans le domaine de l’autofiction ?

Après tout, on peut ne pas être toujours fan de la production contemporaine qui se revendique «auto-fictive» ou «auto-fictionnelle»; cela ne veut pas dire que le genre est perdu pour toujours. Une quantité de mauvais poèmes, même écrasante, n’est pas une négation de la poésie.

Et Le Questionnaire est peut-être une grande autofiction.

Note
(1) Cette note s'appuie sur la traduction en français de Guido Meister pour Gallimard, dans la collection L'Imaginaire.

lundi, 21 septembre 2020

De la mobilisation en période de pandémie - Neuf extraits commentés de La mobilisation totale d’Ernst Jünger

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De la mobilisation en période de pandémie

Neuf extraits commentés de La mobilisation totale d’Ernst Jünger

par Baptiste Rappin

Ex: http://www.juanasensio.com

 
Ernst Jünger dans la Zone.

Baptiste Rappin dans la Zone.

La présente «crise», qui provoqua le confinement de plusieurs milliards d’êtres humain en raison de la pandémie mondiale du coronavirus baptisé Covid-19, qui, autrement dit, installa une sédentarité et un immobilisme contraints, s’accompagna paradoxalement d’une exigence de mobilité qui prit la forme, précise et non fortuite nous le constaterons par la suite, de l’appel à la mobilisation totale. La nation se mobilise, les hôpitaux se mobilisent, les entreprises se mobilisent, les associations se mobilisent, les universités et les chercheurs se mobilisent, les «ados» se mobilisent, bref, tout le monde se mobilise…

Ce fut l’idoine occasion de relire l’essai d’Ernst Jünger, qui, paru en 1930, porte précisément le nom de La mobilisation totale (Éditions Gallimard, coll. Tel, 1990), et d’en proposer quelques extraits choisis et commentés afin d’éclairer, par le recul qui tient à la distance temporelle, c’est-à-dire de manière inactuelle, la déconcertante actualité que nous vécûmes et continuons à vivre.

Quelques mots toutefois, en guise de préambule, à propos dudit ouvrage : La mobilisation totale se présente comme un court texte, à peine quarante pages réparties en neuf parties dont nous extrairons de chacune un passage qui nous semble significatif du point de vue de l’analyse de la contemporanéité. L’essai tente de cerner la rupture anthropologique, qu’Ernst Jünger juge non seulement décisive mais également irréversible, que la Première Guerre Mondiale a introduite dans le cours de l’histoire humaine.

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Premier extrait

«Nous nous emploierons […] à rassembler un certain nombre de faits qui distinguent la dernière guerre – notre guerre, cet évènement le plus considérable et le plus décisif de notre époque – de toutes celles dont l’histoire nous a livré le récit» (§ 1, p. 98).

C’est tout d’abord à un effort de discernement que se livre l’écrivain : bien des guerres se ressemblent, bien des guerres sont comparables, bien des guerres procèdent d’une même logique. La Première Guerre Mondiale, quant à elle, introduit une discontinuité, de telle sorte qu’elle ne saurait être ramenée à un étalon déjà connu, bien identifié; elle possède, autrement dit, un caractère inédit, qu’Ernst Jünger, à travers ce court texte qui sert en réalité de laboratoire à un essai décisif : Le Travailleur, cherche à mettre au jour. N’anticipons guère, car les critères de démarcation apparaîtront bien assez tôt, mais notons ceci afin d’établir un pont avec l’actualité : comprendre l’événement, pour Jünger, ne consiste pas à répéter mécaniquement, machinalement si l’on peut dire, les analyses précédentes et les schémas explicatifs préétablis; cela consiste, tout au contraire, à cerner sa spécificité, et à poser sur lui les justes mots afin de le faire advenir en tant que tel à la conscience collective. Telle fut très certainement la première faute, de nature épistémologique mais aux conséquences politiques, du Président Emmanuel Macron et de son équipe gouvernementale qui n’eurent de cesse de parler d’un virus comme d’un ennemi et d’une épidémie comme d’une guerre, des choix lexicaux et sémantiques pour le moins malheureux qui sont à mon sens en partie responsables de comportements a priori irrationnels comme la razzia des commerces (attention, indispensable précision, par ces propos, je n’excuse ni ne cautionne en aucune manière ces agissements dignes de pourceaux dépourvus de toute faculté de juger).

Deuxième extrait

«La meilleure manière de faire apparaître le caractère spécifique de cette grande catastrophe consiste sans doute à montrer qu’elle a été pour le génie de la guerre et l’esprit de progrès l’occasion de conclure une alliance étroite» (§ 2, p. 98).

Voilà une remarque qui me paraît souligner le caractère à proprement parler critique du progrès : il n’est en effet que des esprits simples, dogmatiques ou utopiques, pour concevoir le progrès comme l’écoulement d’un long fleuve tranquille ou comme la paisible marche vers un paradis terrestre à portée de mains. La réalité est plus chaotique, plus erratique, parce que le système capitaliste non seulement nécessite la révolution permanente des moyens de production – l’innovation dans toutes ses déclinaisons : économique, technologique, organisationnelle, sociale, citoyenne, écologique, parentale, éducative, etc. –, mais possède en outre le don de profiter de chaque catastrophe pour étendre son empire et accentuer son emprise : telle est en effet la «stratégie du choc», si justement décrite par Naomi Klein, qui joue de la perte de repères et de l’angoisse engendrées par la crise pour délivrer une ordonnance sur-mesure. Et si la Première Guerre Mondiale, selon Jünger, fut l’occasion de la conclusion d’une alliance entre «le génie de la guerre et l’esprit de progrès», alors il y a fort à parier, et à craindre, que l’association d’un coronavirus conquérant et d’un esprit de progrès tout aussi tenace servira de tremplin à la post-industrialisation de la France qui se traduira – et se traduit déjà – par des investissements massifs dans le numérique, le développement de juteux marchés pour l’industrie pharmaceutique, l’installation accélérée d’une société de la surveillance ainsi que par le recours accentué aux techniques managériales gages d’efficacité et d’adaptation. Je préfère prévenir ici toute illusion : le monde d’après sera identique au monde d’avant, mais en pire.

Troisième extrait

«On peut suivre désormais l’évolution au cours de laquelle l’acte de mobilisation revêt un caractère toujours plus radical dès lors que, dans une mesure croissante, toute existence est convertie en énergie, et que les communications subissent une accélération accrue au profit de la mobilité […]» (§ 3, p. 106).

Qui dit guerre dit mobilisation : non seulement la mise sur pied de guerre de l’ensemble des forces armées, voire même de tous les citoyens susceptibles de participer à l’effort, mais aussi l’orientation de toutes les ressources, matérielles et technologiques, financières et organisationnelles, vers la victoire, seule issue désirée, escomptée, espérée, lorsque le combat s’engage. C’est en toute logique que la rhétorique belliqueuse déployée par nos dirigeants s’accompagne d’un appel à la mobilisation générale : celle-ci est toutefois d’une ampleur sans précédent, puisque l’ennemi est, comme les dieux du panthéisme, possiblement partout, à telle enseigne que l’enrôlement concerne certes les soldats et les citoyens, mais cible également les enfants, les femmes, les personnes âgées, qui, eux aussi, sont sommés de convertir leur existence en énergie. On pourrait dire de ce point de vue que l’épidémie confirme et entérine la mutation du paradigme guerrier qu’avait déjà accompli le terrorisme.

Mais la mobilisation est de surcroît une mise en mouvement : les énergies deviennent en effet disponibles quand elles se trouvent libérées de toute attache et enclines à la mobilité, si bien que toute mobilisation se trouve inséparable d’une structure logistique de gestion des flux, d’hommes, de matières, d’informations. C’est précisément ici que l’attaque surprise du coronavirus dans sa version 2019 devient, pour l’observateur, digne d’intérêt : car jamais, me semble-t-il, la mobilité de la cognition n’a-t-elle été à ce point découplée de la mobilité des corps. Confinés dans nos foyers, consignés à demeure comme des enfants punis dans leur chambre, nos corps, privés de leur élémentaire liberté de mouvement, demeurent immobiles alors que nos pensées ne laissent pas de circuler sur la Toile, à tel point, d’ailleurs, que nos vies n’auront jamais été aussi dépendantes et intégrées au Réseau, par la grâce duquel, Dieu soit loué, nous travaillons à distance, nous achetons à distance, nous prenons l’apéro à distance, nous baisons à distance.

D’une telle situation, je tire deux leçons : d’une part, que le sous-équipement numérique que la présente crise a révélé accélèrera, par des investissements massifs, la digitalisation de notre pays; d’autre part, le confinement restera la première expérience collective d’une vie transhumaniste post-incarnation dans laquelle le corps aura enfin avoué sa superfluité.

indexejtmm.jpgQuatrième extrait

«Néanmoins, le versant technique de la mobilisation totale n’en constitue pas l’aspect décisif. Son principe, comme le présupposé de toute technique, est au contraire enfoui plus profond : nous le définissons ici comme disponibilité à être mobilisé» (§ 4, p. 115).

Le Réseau est une chose, notre appétence et notre célérité à nous y soumettre une autre. Jünger, qui aura sur ce point très largement anticipé et influencé les développements de Heidegger dans La question de la technique, conférence dans laquelle ce dernier affirme notamment que «l’essence de la technique n’est pas la technique», met en évidence qu’aucun dispositif technique ne parvient à s’encastrer dans le tissu social, c’est-à-dire à devenir un système sociotechnique, s’il n’est précédé d’une révolution anthropologique qui, dans les mentalités et les structures de la croyance collective, légitime l’usage dudit dispositif. Pourquoi donc le confinement, présenté comme un acte de mobilisation, et désormais les règles du déconfinement, qui ne sont autres que la poursuite de la mobilisation sous une forme nouvelle, se trouvent-t-ils aussi largement respectés ? Il est vrai que la peur de la maladie et la crainte de l’amende y sont pour quelque chose, je ne le nie pas; mais c’est au fond le principe directeur de notre société qui oriente nos actions, pour les uns, qui se limitent à respecter les consignes, de façon minimaliste, pour les autres, qui n’hésitent guère à prendre directement part au combat en cousant des masques et en imprimant des visières (masques et visières, dont la pénurie annonce la future fortune de proches du pouvoir, c’est une évidence qui ne requiert aucune boule de cristal), de manière engagée voire fanatique.

Quel est ce principe que Jünger situe à la racine de la mobilisation, et que tant Heidegger qu’Anders identifieront comme le tuf même de la société industrielle ? Il s’agit de la disponibilité, c’est-à-dire l’état ou le fait de se trouver à disposition de quelqu’un ou de quelque chose. En d’autres termes, loin d’attendre le tonitruant appel de la mobilisation pour se faire énergies, nos existences sont déjà prêtes et disposées à être mobilisées, n’attendant même que cela, d’être mobilisées, puisque pour les Modernes, le mouvement c’est la vie, mobilisées donc, c’est-à-dire à la fois convoquées, réquisitionnées et ordonnées à la finalité de la victoire. Les «ressources humaines», le «facteur humain», le «capital humain» ne sont pas qu’expressions techniques réservées aux seules entreprises : ces mots, dans toute leur crudité, disent tout simplement la condition des derniers hommes que nous sommes devenus : des outils à la recherche permanente d’un emploi.

Cinquième extrait

«Mais cela n’est rien par rapport aux moyens dont on disposait à l’ouest (en Amérique) pour mobiliser les masses. Il ne fait pas de doute que la civilisation soit plus étroitement liée au progrès que la Kultur; qu’elle sache parler sa langue naturelle dans les grandes villes surtout, et s’entende à manier des notions et des méthodes qui n’ont rien à voir avec la culture, auxquelles même celle-ci s’oppose. La culture ne peut être exploitée à des fins de propagande […]» (§ 5, p. 125).

Je dois ici préciser au lecteur, avant tout commentaire, que le couple civilisation-culture, dans l’Allemagne de l’entre-deux guerres, se présente sous la forme d’une opposition irréductible héritée de la période romantique : d’un côté, celui de la Kultur, la naturalité des liens socio-historiques qui lient les hommes dans une communauté organique de destin; de l’autre, celui de la civilisation, l’artificialité engendrée par les progrès techniques de la société industrielle. Jünger perpétue cette dichotomie, ce dont témoigne assurément le pont tendu entre civilisation et urbanité.

Ce cinquième extrait introduit un nouvel élément indispensable à la bonne compréhension de la mobilisation : les références dernières, en l’occurrence la disponibilité pour la société industrielle, exigent une mise en scène, c’est-à-dire l’intercession de symboles, par l’entremise de laquelle elle s’adresse à ses destinataires. Jadis occupée par la religion et les mythes dont les récits se théâtralisent dans des liturgies, cette fonction se trouve aujourd’hui dévolue à la propagande – les termes de «propagande», «relations publiques» et «marketing» seront dans ce texte considérés comme synonymes –, comme si la médiation, elle aussi, devait se plier à la logique générale de substitution du technique (la «manufacture du consentement» selon la si révélatrice expression de Walter Lippmann) au symbolique.

Il n’est guère étonnant que Jünger tienne ses propos, lui qui assiste à l’émergence des relations publiques dont le chef d’œuvre inaugural demeure l’incroyable Propaganda d’Edward Bernays. Quant à nous, c’est la télévision et ses experts, ce sont les journaux et leurs éditorialistes, ce sont toutes ces associations subventionnées et leurs porte-paroles illuminés, qui anesthésient toute liberté d’esprit afin d’imposer la disponibilité en principe de vie. Peut-être l’opposition que Jünger dresse entre civilisation et culture suggère-t-elle d’ailleurs une issue qu’il faudrait prendre à la lettre, au mot : la campagne ne serait-elle pas la clef des champs, elle qui demeure encore un peu, malgré tout, allergique au baratin du nouveau monde ?

81M4gHeP66L.jpgSixième extrait

«La mobilisation totale, en tant que mesure décrétée par l’esprit d’organisation, n’est qu’un indice de cette mobilisation supérieure accomplie par l’époque à travers nous» (§ 6, p. 127-128).

La mobilisation totale n’épuise toutefois pas l’esprit de l’époque, elle ne constitue qu’un aspect partiel d’un phénomène encore plus général, plus englobant, dont elle sert toutefois de révélateur; car, la crise, en tant qu’elle désigne le point culminant de la maladie, est synonyme de moment de vérité. La mobilisation totale qui est déclarée face à l’attaque ne fait ainsi que mettre en évidence ceci : que l’époque ne cesse de nous mobiliser, en temps de paix comme en temps de guerre, qu’elle ne laisse pas de nous rendre encore et toujours disponibles, qu’elle cherche, à travers tous les moyens possibles, à nous employer, à nous rendre utiles et fonctionnels, qu’elle a fait de nous des «types adaptables», formulation positive de l’expression «unadaptable fellows» qu’on lit sous la plume aiguisée de Günther Anders, c’est-à-dire des organismes psychologiquement modifiés.

Tel est l’esprit d’organisation qui donne à l’époque son triste visage : rien ne saurait résister à une entreprise d’optimisation, rien ne saurait demeurer en retrait sans être exploité – la planète est une immense mine de matières premières –, il n’est aucune de nos qualités qui ne doive se mettre au service d’une production, s’ordonner à une fin de performance. On l’observe d’ailleurs aux curriculum vitae et aux lettres de motivation de candidats au recrutement qui n’hésitent plus à faire de l’organisation de leur vie personnelle un gage de réussite de leur carrière professionnelle, à présenter leurs voyages touristiques comme l’occasion de développer des compétences interculturelles, à rendre compte de leur engagement associatif comme d’une expérience managériale. La transitivité de l’efficacité est parfaite, qui atteste de l’omniprésence de son idéologie.

Septième extrait

«Nous avons expliqué qu’une grande partie des forces progressistes avait été mobilisée par la guerre; et la dépense d’énergie ainsi entraînée était telle qu’on ne pouvait plus rien réinvestir dans la lutte intérieure» (§ 7, p. 134-135).

Après la métaphysique, le retour à la politique. Il est évident que la mobilisation totale qui suit la guerre déclarée au souverain virus conduit à un épuisement complet, autant dû à l’atrophie de corps immobilisés, confinés, empêchés, qu’à l’usure de psychismes sidérés par les écrans du «télétravail»; il est tout aussi obvie que la mobilisation générale, celle qui est quotidiennement requise par l’esprit d’organisation, produit une fatigue structurelle, un dépérissement lent et continu, une torpeur et une anesthésie qui constituent très certainement le premier frein à toute action authentiquement révolutionnaire. La disponibilité permanente entraîne une adhérence, sinon une adhésion, à l’époque, si bien que l’intempestivité, que je pourrais littéralement et abusivement définir comme l’action de pester intelligement contre son temps, paraît bien disparaître des radars, si ce n’est à titre de vestige de l’ancien monde.

Le président Emmanuel Macron le sait bien, et si vraiment il l’ignore, une quelconque huile l’aura bien averti : la colère gronde, dont l’intensité n’a d’égale que son niveau d’incompétence et d’incurie – sans compter l’irritation née de ces invraisemblables et insignifiantes envolées technico-lyriques («un été apprenant et culturel» ! : «mdr» aurait-t-on envie de rétorquer) qui circulent en boucle sur les réseaux sociaux. L’épuisement de l’opposition, non pas celle qui se met douillettement en scène à l’Assemblée Nationale en attendant que le fatum de l’alternance produise son effet, mais celle qui s’empare des ronds-points de l’Hexagone et refuse de se laisser institutionnaliser par le jeu de la représentation, l’épuisement de cette opposition-là, qui se trouve aujourd’hui mobilisée en première ligne dans les hôpitaux, les commerces et les ateliers, représente très certainement le gage d’une certaine tranquillité intérieure, c’est-à-dire de sa possible réélection, à condition, par conséquent, de maintenir l’état d’exception jusqu’à ce qu’il soit accepté comme normal et que le régime autoritaire, dictatorial, s’installe dans notre quotidien avec le statut de l’évidence. Le tout assorti de concessions qui ne le sont point : remaniement ministériel, retour de la souveraineté, tournant écologique, visions du monde d’après qui ne sera plus jamais le même, etc.

Huitième extrait

«Le progrès se dénature en quelque sorte pour faire ressortir son mouvement à un niveau très élémentaire, après une spirale accomplie par une dialectique artificielle; il commence à dominer les peuples sous des formes qu’on ne peut déjà plus distinguer de celles d’un régime totalitaire, sans même parler du très bas niveau de confort et de liberté qu’elles offrent. Un peu partout, le masque de l’humanitarisme est pour ainsi dire tombé; et l’on voit apparaître un fétichisme de la machine […]» (§ 8, p. 137).

Le progrès, qui prend aujourd’hui la forme de la «transformation digitale», mot d’ordre que l’on entend autant dans les entreprises, petites et grandes, que dans les écoles et les collectivités, promet la liberté mais sème la terreur. Comment Bernard de Clairvaux, le Saint, n’y aurait-il pas pensé quand il affirma, locution devenue proverbiale, que «l’enfer est pavé de bonnes intentions» ? C’est tout sourire que le progrès engendre le pire, c’est au nom de l’humanité et du Bien qu’il installe une domination d’un nouveau genre. Car si le régime totalitaire «classique» repose avant tout sur une idéologie, celle de la race, celle de la classe, qui reconfigure la société en lui imposant de nouveaux régimes de normativité, le progrès, dont le docteur Frankenstein de Mary Shelley fournit une idoine personnification, accouche d’un monstre froid, impersonnel et intégralement artificiel : la méga-machine, l’hydre hyper-connectée dont la prolifération ne connaît pas de terme, car tel est le propre du Réseau, que de toujours s’étendre, se répandre, se propager, sans autre ambition que son propre prolongement, sans autre souci que son accroissement de puissance.

Julius-Evola+Der-Arbeiter-im-Denken-Ernst-Jüngers.jpgLes masques tomberaient-ils, malgré la propagande, en dépit de la mobilisation ? Certains d’entre nous, trop peu bien entendu, ont pris goût à une vie décélérée et exempte des tourbillons et de l’agitation du quotidien, réalisent que cette liberté retrouvée les renvoie, par contraste, à leur ordinaire condition de servilité, se disent qu’au fond ils se satisferaient bien d’un prolongement de cette parenthèse enchantée. Ils ont même retrouvé une certaine forme de mesure et de sérénité dont le fol emballement de la vie moderne les avait privés (et ils en furent les complices volontaires, nous le savons bien !) : mais que valent ces gouttes d’eau dans l’océan de dispositifs digitaux, que peuvent ces minuscules prises de conscience contre le Grand Déferlement ?

Neuvième extrait

«À travers les failles et les jointures de cette tour babylonienne, notre regard découvre aujourd’hui déjà un monde apocalyptique dont la vue glacerait le cœur du plus intrépide. Bientôt l’ère du progrès nous semblera aussi énigmatique que les secrets d’une dynastie égyptienne, alors que le monde lui avait en son temps accordé ce triomphe qui, un instant, auréole d’éternité la victoire» (§ 9, p. 139).

Le progrès a pour nous un statut d’évidence; non plus le progrès moral (celui qui croit au perfectionnement de l’individu raisonnable par l’éducation), non plus le progrès historico-politique (celui qui imagine la construction d’un avenir radieux par des citoyens rationnels épousant le sens de l’Histoire), mais, bien sûr, le progrès technique qui, sûr de son statut d’idole et de son implacable force, lance ses rouleaux-compresseurs mécaniques, automatiques, numériques, à l’assaut des vieilleries de la civilisation, écrase les traditions, casse les institutions et concasse les corps intermédiaires, broye le langage pour lui substituer le grincement assourdissant des rouages et le bruit diffus de l’information. Non, ce n’est pas un monde que détruit le progrès; non ce n’est pas seulement une ère qui prend fin sous les coups de butoir de la méga-machine; non, Messieurs les relativistes, notre époque ne saurait se diluer dans une histoire générale du mal et de ses manifestations. Jamais les assemblages anthropologiques qui garantissent la pérennité de l’espèce humaine ont-ils été aussi durement mis à l’épreuve; jamais une société («société» qui s’est, soit dit en passant, dilué dans le «social», dilution ou dissolution qui mériterait à elle seule un article entier) n’a-t-elle adopté, pour seul mode de reproduction, la fabrique d’êtres opérationnels. Telle est bien, au fond, l’énigme que nous laissons à nos survivants ou, hypothèse osée mais stimulante, à une civilisation extra-terrestre qui découvrirait les décombres de la nôtre. Si l’espèce humaine, je veux dire : réellement humaine, venait à survivre à cette catastrophe, alors nos descendants s’interrogeront, avant peut-être de baisser les bras devant l’insondable mystère du progrès : mais de quelle folie ont-ils été pris, nos ancêtres de la société industrielle, pour précipiter la civilisation dans l’apocalypse?

mardi, 15 septembre 2020

The Dystopian Age of the Mask - How Ernst Jünger predicted the ubiquity of masks

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The Dystopian Age of the Mask

How Ernst Jünger predicted the ubiquity of masks

Huxley’s Brave New World (1932) has Alphas, Betas, and Epsilon Semi-Morons – genetically engineered classes with uniform clothing and uniform opinions. Orwell’s Nineteen Eighty-Four (1948) has the Thought Police and Newspeak. While Zamyatin’s We (1921) has numbers instead of people – D-503, I-330, O-90: vowels for females, consonants for males.

If there is a single defining characteristic of dystopian literature, it is the eradication of all individuality. “Self-consciousness”, Zamyatin writes, “is just a disease”. For this reason, dystopias are invariably told by tormented outsiders: those who are well aware of the commodity-like standardisation of their fellow humans, yet either fear the consequences of speaking out or resent their own sense of self. After all, “no offence is so heinous as unorthodoxy of behaviour”, as Huxley writes.

Given their tyrannical preoccupation with uniformity, it is little wonder that, as a literary form, dystopias emerged at the beginning of the twentieth century. The totalitarian regimes of Russia and Germany as well as their technocratic Western counterparts, inspired by the likes of F. W. Taylor and Henry Ford, were central sources of inspiration. For all their apparent differences, these competing ideologies are united by the utopian attempt to redraw not just society, but the human being himself. The increasing power of science and technology gave rise to the idea that nature itself, in all its messy complexity, could be finally put straight.

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Besides these three canonical authors, however, this generation produced another equally impressive, if much less well known, dystopian writer: the enigmatic German, Ernst Jünger. Known primarily for his First World War diaries and steadfast opposition to Weimar liberalism, Jünger went on to live until the age of 103, writing on topics from entomology and psychedelics to nihilism and photography. In the second half of his career he produced three principal works of dystopian fiction: Heliopolis (1949), Eumeswil (1977), and, perhaps his finest, The Glass Bees (1957).

Arguably his most chilling vision, however, is offered in an extended essay published on the eve of the Nazi ascension to power in 1932. The Worker, as Jünger calls it, aims to sketch what he regards as the coming new world order – an order defined by a fundamentally new type of human. Having dispensed with the liberal values of the past and embraced his fate in the factories and on the battlefields of the early twentieth century, the hallmark of the new man is an uncanny resemblance – both in body and soul – to the machine. Born to human parents, Jünger’s “worker” is nevertheless a child of the industrial age.

Following the dystopias of his contemporaries, the prime casualty of this new age is also the individual. For the logic of the machine permits no difference. Whether the natural world or the human mind, Jünger argues that everything is increasingly defined by “a certain emptiness and uniformity”. The result, to use Orwell’s words, is “a nation of warriors and fanatics, marching forward in perfect unity, all thinking the same thoughts and shouting the same slogans” – millions of people, he adds, “all with the same face”.

Our readiness to hide our face reflects the dehumanising tendencies that underlie the modern period

It is in this last respect that The Worker takes on a disturbing relevance for our own times. For the uniformity of the new age is symbolised, Jünger suggests, by the sudden proliferation of the mask in contemporary society. “It is no coincidence”, he writes, “that the mask is again beginning to play a decisive role in public life. It is appearing in many different ways … be it as a gas mask, with which they are trying to equip entire populations; be it as a face mask for sport and high speeds, seen on every racing driver; be it as a safety mask for workplaces exposed to radiation, explosions, or narcotic substances. We can assume”, he continues, with an eerie prescience, “that the mask will come to take on functions that we can today hardly imagine”.

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Given the sudden ubiquity of the face mask in 2020, across the entire globe and in an increasing number of social contexts, it is impossible to avoid the conclusion that this is precisely the sort of development Jünger had in mind. Our readiness to obscure the face reflects the dehumanising tendencies that, for Jünger, underlie the modern period. It represents another stage in the degradation of the individual that became explicit in the First World War. Whether as a scrap of material on the battlefield or a cog in the machine of the wartime economy, the modern age has a habit of reducing the human being to a functional object. Everything “non-essential” – everything, that is, that makes us human – is blithely discarded.

The question for us is what it means to resemble such a dystopian vision. Are we happy to rationalise the transformations of our everyday lives, or are we concerned by the proximity of today’s world with some of the most basic dystopian tropes? Whether the call for social isolation, perpetual “vigilance”, or mandatory face masks, the measures of the last six months represent more than an assault on liberty. They implicitly enjoin us to sacrifice our humanity in order to save our lives. Even if this Rubicon has not yet been crossed, it is worth thinking about the point at which it is. For perhaps there is more to life than its mere continuation. Perhaps “the object”, as Winston Smith well knew, “is not to stay alive but to stay human”.

Armin Mohler

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Armin Mohler

par Georges FELTIN-TRACOL

Dans un excellent livre, le deuxième tome de La Révolution conservatrice allemande. Sa philosophie, sa géopolitique et autres fragments (Éditions du Lore, 2018, 333 p., 28 €), Robert Steuckers revient à diverses reprises sur une personnalité exceptionnelle des idées outre-Rhin : Armin Mohler.

Né à Bâle en Suisse le 12 avril 1920 et décédé à Munich le 4 juillet 2003, Armin Mohler appartient à la génération fondatrice de la Neue Recht. Irrité par le conformisme petit-bourgeois helvétique, l’adolescent se rebelle et revendique un « radicalisme de gauche » qu’il jugera plus tard bien trop « communiste de salon ». Il se détourne toutefois assez vite de ce gauchisme puérile et montre un intérêt certain pour le national-socialisme. En février 1942, alors soldat, il déserte, franchit la frontière du Reich et veut rejoindre la Waffen SS. Reconnu inapte, il étudie pendant un an à Berlin l’histoire de l’art, puis retourne en Suisse où il est arrêté. Jugé, il écope d’un an de prison.

En 1947, il recense La Paix d’Ernst Jünger. Le texte attire l’attention de l’auteur d’Orages d’acier. Armin Mohler devient son secrétaire particulier de 1949 à 1953. Plus politique, Armin Mohler regrettera qu’Ernst Jünger se détache de son engagement national-révolutionnaire de l’Entre-deux-guerres. Entre-temps, il présente sous la direction de Karl Jaspers sa thèse de doctorat sur la Révolution conservatrice allemande que les éditions Pardès publieront en français en 1993.

51zWzYZusRL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgÀ partir de 1953, Armin Mohler s’installe en France. Il travaille pour les journaux allemands et suisses alémaniques Die Zeit, Die Welt et Die Tat. Il lit Maurice Barrès, Léon Bloy et Georges Sorel qu’il estime dans un livre de 2000 non traduit comme le « Grand-père » de la Révolution conservatrice. Ses amis se nomment Michel Mourre, le provocateur lettriste pré-situationniste, et le futur académicien José Cabanis. Revenu en Allemagne, Armin Mohler s’investit en politique. Ce directeur – gérant de la prestigieuse fondation Carl Friedrich von Siemens écrit pour les revues jeune-conservatrice Criticón de Caspar von Schrenk-Notzing, nationaliste Deutsche Nationale-Zeitung de Gerhard Frey et nationale-conservatrice Junge Freiheit de Dieter Stern. Il y tiendra longtemps une tribune bimestrielle : « Chronique de l’interrègne ». Récipiendaire malgré des polémiques fomentées par la gauche du Prix Conrad-Adenauer en 1967, il donne des cours à l’Université d’Innsbruck en Autriche. Proche du GRECE et d’Alain de Benoist, il collabore à Éléments et à Nouvelle École.

Dans la décennie 1960, Armin Mohler se rapproche du « Taureau de la Bavière », Franz Josef Strauss, le charismatique président de la CSU (Union sociale chrétienne). Rédacteur de ses discours, il tente de le conseiller en vain, car la CSU maintient des positions atlantistes et libérales. « Avec un homme de gauche, dit-il, je peux encore m’entendre, car il a souvent compris une partie de la liberté. Avec un libéral, il n’y a pas de compréhension possible. »

Favorable à la réconciliation franco-allemande, il développe un discours euro-gaullien. Admirateur du Général De Gaulle et des institutions de la jeune Ve République, il se prononce pour une Europe régalienne libérée de l’emprise des blocs occidental et soviétique. Ce lecteur assidu de Carl Schmitt recherche un vrai « ordre concret », récuse le romantisme politique, se méfie de l’écologie et se proclame « nominaliste ».

Ses analyses historiques contrastent avec le ronron intellectuel. Dans le court recueil Généalogie du fascisme français. Dérives autour du travail de Zeev Sternhell (Éditions du Lore, 2017) où l’on trouve aussi un texte dense et brillant de Robert Steuckers, Armin Mohler revient avec brio sur « Zeev Sternhell, nouvel historiographe du fascisme ». Son interprétation du fascisme n’est pas anodin. Dans un entretien accordé au Leipziger Volkszeitung des 25 et 26 novembre 1995, il voit dans le fascisme un existentialisme qui « résulte de la rencontre entre les déçus du libéralisme et les déçus du socialisme. C’est alors que naît ce que l’on appelle la Révolution conservatrice ».

Auteur dès 1958 d’un ouvrage précurseur sur La droite française, puis en 1974 d’un autre dont le titre fera bientôt fortune, Vu de droite, Armin Mohler préfère se dire « de droite » plutôt que « conservateur ». À la fin des années 1980, il aide le mouvement de Franz Schönhuber, Die Republikaner. S’il applaudit la réunification allemande de 1990, il œuvre pour réconcilier tous les Allemands. Il s’élève par conséquent contre la « repentance névrotique » permanente de l’Allemagne en histoire. Il s’oppose logiquement à d’éventuels procès de dirigeants de la République démocratique allemande.

Au soir de sa vie, malade, il approuve l’orientation de la revue Sezession de Götz Kubitschek. Or cette revue de grande qualité ne cache pas aujourd’hui sa proximité intellectuelle avec l’AfD et en particulier avec Der Flügel (« L’Aile »), le courant national-folciste du Thuringeois Björn Höcke, auto-dissous au début de cette année afin d’éviter les persécutions de l’actuelle police politique allemande. Par l’intermédiaire de Sezession, Armin Mohler a donc pu diffuser sa vision du monde. Celle-ci a enfin trouvé un terreau favorable dans les Länder de l’Est. C’est un nouvel exemple riche en promesses que, même disparus, certains penseurs continuent à influencer le monde.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 34, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 8 septembre 2020 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

PS : Dernière chronique lue à l’antenne, car, victime d’une censure interne inacceptable, Thomas Ferrier arrête son émission. Merci, Thomas, de m’avoir permis de chroniquer en toute liberté quelques belles figures européennes. Le combat continue !

jeudi, 10 septembre 2020

Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen Vermächtnis eines Nationalisten

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Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen

Vermächtnis eines Nationalisten

von Uwe Sauermann

Ernst Niekisch (1889–1967) war ein politischer Denker und faszinierender Autor, der sich von der extremen Linken zum Visionär des deutschen Nationalismus entwickelte. Dennoch wurde er 1939 vom Volksgerichtshof zu einer lebenslangen Zuchthausstrafe verurteilt. Warum dieser Nationalist und zugleich Antifaschist mit Hitlers Nationalsozialismus kollidieren musste und heute noch Interesse verdient, geht aus diesem Buch „Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen“hervor. Er war ein „unbedingter“ Nationalist, der trotz gänzlich veränderter Umstände heutigen „Nationalkonservativen“ als Test für die Ernsthaftigkeit ihres Anliegens dienen und auch Linke verunsichern kann.

Armin Mohler: „Im vorliegenden Buch wird sichtbar, dass Sauermann sich mit einer Intensität, Ausdauer und Exaktheit in den Komplex Niekisch hineingearbeitet hat, die bisher noch kein anderer in dieses Thema investierte. Er hat die Wirkung Niekischs bis in die entlegensten Zeitschriften und politischen Gruppierungen hineinverfolgt – und das, ohne die großen Linien aus dem Auge zu verlieren, und mit einer erfreulichen Sicherheit in der Beurteilung von Personen und Situationen.

Ich habe mich seit meiner Jugend mit Niekisch befaßt und hielt mich immer für einen ganz guten Kenner dieses Mannes. Bei der Lektüre dieses Buches habe ich nicht nur viel hinzugelernt, sondern mußte auch einige liebgewordene Meinungen über Niekisch auf Grund von Sauermanns Beweisführung aufgeben oder doch zumindest nuancieren.

Das vorliegende Buch von Uwe Sauermann zeigt, daß man auch über sehr nahe und kontroverse Zeitgeschichte wissenschaftlich zu arbeiten vermag, wenn man, bei aller Engagiertheit, die eigenen Vorurteile zurückstellt und die Geduld aufbringt, sich um auch geschichtliche Vorgänge in ihrer Einzigartigkeit und steten Andersartigkeit zu kümmern.“

Über den Autor

Uwe Sauermann studierte in München und Augsburg Politische Wissenschaften, Neueste Geschichte und Völkerrecht. Seine Dissertation ist die hier vorliegende Schrift. Obwohl es danach mehrere Veröffentlichungen zu Niekisch gab, ist Sauermanns Werk bis heute die materialreichste und gelungenste Analyse von Ernst Niekischs Zeitschrift „Widerstand“. Uwe Sauermann war später für das öffentlich-rechtliche Fernsehen tätig. Er war schon vor dem Ende der DDR Korrespondent in Ost-Berlin und Leipzig, produzierte zeitgeschichtliche Filme und berichtete danach für die ARD u. a. aus Indien, Irak und Afghanistan.  Er lebt heute in Berlin.

ISBN 978-3-938176-81-8

464 Seiten, gebunden, fester Einband

Wenn Sie sich für „Ernst Niekisch – Widerstand gegen den Westen“ interessieren, können wir Ihnen ebenfalls folgende Bücher empfehlen:

“Conservative Revolution” in England—a Sketch

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“Conservative Revolution” in England—a Sketch

Fergus Cullen

Ex: https://ferguscullen.blogspot.com

“Conservative Revolution” is a phrase unfamiliar to English politics (as self-identification) or to English scholarship (as well-defined category in the history of political thought).

C.R. in Germany originated as a self-identification (Dietz [b], n. 33 to chap. 1, pp. 215–6) tied up in a self-perception of “German uniqueness” (Sonderweg) (Mohler [b], part 2). That C.R. in Germany is as disputed—from without, in scholarship—as the nation’s “special path” (Klemperer) is a sign of the category’s potency.

Since C.R., rather than a narrowly- and contingently-delimited movement or ideology, is an “attitude” (Mohler [b], p. 229)—a setting oneself against “the Ideas of 1789” on the one hand, and the timidity of mere conservatism on the other—it ought to obtain, in potency if not in act, beyond Germany’s borders.

Dugin explores C.R. in Russia; Veneziani in Italy. Mohler (a) makes some suggestions re. France.

The possibility of C.R. in England was suggested first by Hoeres, then by Dietz (a). Hoeres suggests T. E. Hulme as a figure significantly analogous to German Conservative Revolutionists. Dietz (a) suggests that “neoconservative” Conservative Party circles around Douglas Jerrold and Charles Petrie might constitute an analogue to the Jungkonservativen (see Mohler [b], part 5.2).

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T. E. Hulme

Dietz revises his position slightly in (b), detailing “Neo-Tory” goings-on in and around the Conservative Party between the Wars. “Neo-Toryism,” in Dietz’s outline, is regrettably unknown by English politics (as self-identification) and scholarship (as well-defined and potent category). His analogies are worth developing; but he leaves valid analogies unmade. I’ll just sketch both here.

Mohler’s taxonomy (b, part 5):

(1) Young Conservatives;

(2) national-revolutionaries; and the

(3) folkish,

(4) “leaguish” and

(5) peasant movements.

English analogues:

(1*) Neo-Tories, sensu lato;

(2*) (rather lacking) fascists, and fascist-adjacent (Independent) Labour elements;

(3*) e.g., the English Mistery and Array;

(4*) e.g., the British Fascisti, and the Kibbo Kift;

(5*) e.g., Rolf Gardiner, H. J. Massingham, the Soil Association, etc.

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Within 1* one can distinguish those more strictly stuck to the Party (Neo-Tories) from more independent minds like the Hulme–Storer circle (influenced by Maurras, Lasserre and the Action Française), the Eliot circle (influenced by the A.F. and by Nationalist Spain), and the Nietzscheans Anthony M. Ludovici, J. M. Kennedy and George Pitt-Rivers. (In his absolute elevation from democratic politics, the latter three’s mentor Oscar Levy can at most be considered an outer limit of 1*. Another limit might be the “die-hard” peers—e.g., Willoughby de Broke—and their associates—e.g., Arthur Boutwood.) The proximity of 1 to 1* went so far as direct collaboration: e.g., Wilhelm Stapel’s contribution to the English Review (Dietz [b], p. 99).

Tories who went beyond sympathy to fascist collaboration or identification mark 1*’s shading into 2*. Mohler, approaching C.R. from within, and maintaining associations with post-War “mere conservatism,” must discount National Socialism from the C.R.’s ranks; though scholarship must feel free to count such defectors from (Independent) Labour to fascism as Oswald Mosley and John Beckett among 2*. Perhaps a Social Crediter like Ezra Pound might designate a limit?

imageshargrave.jpgIn which case, with John Hargrave (photo), of the Kibbo Kift, and then the Green Shirt Movement for Social Credit, and with Rotha Lintorn-Orman, in her move from pioneering Girl Guide to British Fascist, 2* shades into 4*. Rolf Gardiner is an emblematic figure here. Born in Berlin, and a writer in German, he was a conduit for Bündische ideas.

Gardiner was also a correspondent of Walther Darré, and equally emblematic of 5*. There was no true Landvolkbewegung in England. 5* could only ever be an agrarian Conservative Revolution “from above.” Middle-class romanticism re. “Merry England” and “the land” were inextricably involved. Henry Williamson might mark an outer limit; while a collaborator with Mosley, he was basically unpolitical. The modern organic movement’s roots are, via Jorian Jenks, Gardiner and the Soil Association, to be found in 5*.

As for 3*, this is more a theme than a distinct current. A folkish organisation like the English Mistery really belongs to 1*.

Photo: Oscar Levy

2741114.jpgThe influence of Nietzsche is almost as important in England as in Germany. Levy’s “Nietzsche Movement in England” is a C.R.-adjacent current. Ludovici began in Levy’s movement to become important within the English Mistery, as well as the illiberal wing of the eugenic movement. An overlooked aspect of Hulme qua philosopher is his similarity to Nietzsche (in “Cinders,” especially). A feature shared by many of the sects thrown together in the pages of The New Age—Social Credit, Toryism, Marxism, guild socialism, Fabianism, Gurdjieffism, etc., etc.—is an interest in Nietzsche.

This latter indicates the proximity of C.R.E. to what was called “Lebensreform” (life-reform) in the German case (Mohler [b], p. 59, f.). That is, an arguably utopian, though frequently illiberal, will to seize and mould human life itself. See also Gardiner’s, and the eugenicist Caleb Saleeby’s, advocacy for nudism. Re. the suffragette–fascist “pipeline,” take Mary Richardson, Mary Sophia Allen, etc.

The “Generation of 1919” (Moeller van den Bruck: ibid.,, p. 86) energized the C.R. in England as in Germany. See Dietz (b)’s discussion of “the War books controversy” (part 3.1.3., p. 36, ff.). T. E. Hulme’s anti-pacifism is another case in point. Pound was a latecomer: compare “Mauberley” (“E.P. Ode,” IV–V) to, e.g., Cantos XXX, LXXII–III.

Revolted as they were by the Ideas of 1789, the bourgeois revolution in England came a century earlier. The “Glorious Revolution” (sic…the “Inglorious Rebellion,” Jerrold’s term, is rather better) was denounced by Neo-Tories as the ruination of Merry England (Dietz [b], part 3.2.2); Pound’s Ghibellinism (see Cantos LXXII–III), and the conversion to Catholicism (or High-Church Anglicanism) of, e.g., Arnold Lunn and T. S. Eliot, express the same anti-bourgeois, neo-Mediaeval tendency. Consider in this connection the neo-Mediaevalism of guild socialist and New Age-contributor A. J. Penty. The Arts and Crafts movement—qua Lebensreform!—is an important foreshadow of the C.R.E.

Note. A thorough survey of the Conservative Revolution in England (provisionally 1910–39) is my ongoing project. I shall writing more—much more, I hope—on the subject.

Bibliography

Bernhard Dietz (a), “Gab es eine ‘Konservative Revolution’ in Grossbritannien?” Vierteljahrshefte für Zeitsgeschichte, 54 (2006), pp. 607–37.

— (b), Neo-Tories (London: Bloomsbury, 2018).

Aleksandr Dugin, Konservativnaia revoliutsiia (Moscow: Arktogeia, 1994).

Peter Hoeres, “T. E. Hulme,” Zeitschrift für Politik, 55 (2003), pp. 187–204.

Klemens von Klemperer, Germany’s New Conservatism (Princeton: Princeton U. Press, 1968).

Armin Mohler (a), interview with Éléments, 80 (1994).

— (b), Conservative Revolution in Germany (Whitefish: Radix, 2018).

Marcello Veneziani, La rivoluzione conservatrice in Italia (Milan: Sugarco, 1994).

mercredi, 09 septembre 2020

En avril dernier, Armin Mohler aurait eu 100 ans ! Ses idées ont toujours un impact aujourd’hui

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En avril dernier, Armin Mohler aurait eu 100 ans !

Ses idées ont toujours un impact aujourd’hui

Par Karlheinz Weißmann

A Rottingdean, un petit port sur la côte du Sussex, il n’est guère aisé de trouver une place de parking. Finalement, nous avons pu garer la voiture à proximité de l’église Sainte-Marguerite où l’on peut admirer quelques magnifiques vitraux du pré-raphaëlite Edward Burne-Jones.

Quelques secondes avant que je ne franchisse le portail d’entrée, j’ai saisi mon portable dans le fond de ma poche pour l’éteindre. Mais mon regard tomba sur un bref indice annonçant une nouvelle « Vision de l’ennemi chez Mohler dans le dernier Die Zeit ». Je n’ai pu résister : Burne-Jones pouvait attendre ; je voulais d’abord savoir ce que ce message et sa pièce jointe contenaient.

Il s’agit d’un texte de l’hebdomadaire Die Zeit (édition du 7 juillet 2016), écrit par un journaliste connu, Volker Weiss, sur Armin Mohler, « père fondateur » de la « nouvelle droite ». Ce concept, dans cet article, recouvrait tout : de Pegida à Junge Freiheit, des hommes vêtus dans le style Oxford-Karo aux identitaires, de l’AfD à une « boite à penser » de la Saxe-Anhalt.

indexamges.jpgCe n’était pas une crise, ce n’était pas un problème concret, ce n’était pas davantage une analyse de la situation qui avait généré ces phénomènes politiques. Ils ne devaient leur émergence et leur succès qu’au seul effet de la pensée du défunt Armin Mohler. Or celui, ajoutait le rédacteur de Die Zeit, n’avait rien d’un penseur original. Car Mohler n’avait fait que recycler le « nationalisme folciste » du temps de la République de Weimar. Bien sûr, les protagonistes actuels de la « nouvelle droite » n’atteignaient plus le niveau des Moeller van den Bruck, Oswald Spengler, Carl Schmitt ou Ernst Jünger. Mais, voilà, elles avaient mûri les graines que Mohler, avec son livre Die konservative Revolution in Deutschland, avait semées.

Beaucoup de noms ont été oubliés, sauf le sien…

Si Mohler avait encore vécu, il aurait été transporté d’enthousiasme et plus encore par l’illustration du texte que par le texte lui-même. Cette illustration montrait un Mohler relativement jeune, le mégaphone à la main, qui, apparemment, agitait les masses qui envahissaient les rues en brandissant des drapeaux bleus de l’AfD, des bannières noir-rouge-or, des drapeaux de Wirmer (celui que Stauffenberg avait fait sien, ndt) et des bannières de guerre de l’ancien Empire, pour refuser l’islamisation et pour envoyer Merkel au diable.  Mohler se serait jeté sur la page du journal, muni d’une paire de ciseaux et d’un bâton de colle, pour en tailler des versions photocopiables au format DINA4, pour les compléter de quelques remarques, à l’encre ou au marqueur et les envoyer par voie postale à ses amis, ses connaissances et ses sympathisants.

Cela n’a pas pu se passer : Armin Mohler, né il y a plus de cent ans à Bâle, le 12 avril 1920, est mort le 4 juillet 2003 à Munich. Mais les idées qu’il a lancées ont effectivement de l’effet encore et toujours. Non pas exactement à la façon dont se l’imaginent ce monsieur Weiss, les antifas, les libéraux trouillards et les théoriciens bien installés qui glosent à qui mieux-mieux sur la démocratie mais elles ont de l’effet, de l’influence, bien davantage que ne le croient ceux qui ne raisonnent qu’en termes de gros tirages et de maisons d’éditions bien situées.

C’est certain : dans l’après-guerre, il y a eu d’autres intellectuels de droite ou des conservateurs plus fins que Mohler, plus éprouvés, qui écrivaient encore des best-sellers ou qui, d’une manière ou d’une autre, parvenaient à réussir une carrière universitaire. Hélas, ces conservateurs chevronnés, plus personne ne les connait. Leurs noms sont oubliés, leurs livres n’ont été que des succès momentanés, leurs idées sont devenues anachroniques, n’ont pas eu vraiment de l’importance, n’ont eu aucune influence sur les mouvements intellectuels.

1cff9242069970646420f65ae437f75b.jpgOn devra toutefois constater que Mohler n’a laissé qu’un petit nombre d’écrits réellement personnels : on citera, outre son œuvre principale consacrée à la révolution conservatrice, Was die Deutschen fürchten et Die Vergangenheitbewältigung ; mais il ne faut pas oublier, qu’à côté de ces livres-là, il y a eu toute une série d’essais qui ont sans nul doute laissé, chez leurs lecteurs, des impressions bien plus fortes comme, par exemple, Der faschistischen Stil ou Liberalenbeschimpfung.

Il avait une tendance à collectionner les papiers…

Au cours des dernières décennies de son existence, Mohler n’a pas vraiment écrit d’épais volumes. Cela ne s’explique pas seulement par le fait que la « petite forme » lui plaisait davantage ou parce qu’il avait une propension frénétique à rechercher et à collectionner vieux papiers et grimoires, activités qui ont exigé leur tribut sous forme de « temps de vie ». On peut aussi l’expliquer par le fait qu’il ne pouvait plus rien publier dans un cadre qu’il jugeait adéquat.

Pour comprendre cela, il faut se rappeler dans quelle mesure, en tant que très jeune homme puis en tant qu’homme un peu plus âgé, il plaçait un grande confiance en la protection. C’était vrai dès sa rupture avec les gauches, après l’échec de sa tentative aventureuse de s’engager comme volontaire dans la Waffen-SS pour participer au combat planétaire de la « nouvelle Europe » contre le bolchevisme.

Mais ce fut d’autant plus vrai au début de sa carrière en Allemagne, quand il fut le secrétaire d’Ernst Jünger ou quand il devint dans les années 50 le correspondant de plusieurs journaux en France, dont Die Zeit. Bien entendu, cela valait aussi quand il reprit la tâche de diriger la Fondation Siemens après son retour en Allemagne.

Le recul prudent de bon nombre de ses disciples l’a beaucoup déçu

Très tôt, Mohler acquit la réputation d’être un « enfant terrible ». C’est justement cette réputation qui a éveillé l’intérêt d’un certain public, après l’effondrement d’un « Etat commissarial » et la poursuite de l’existence menaçante d’un autre, a acquis une conscience bien claire de ce que signifient la liberté d’expression et la pluralité des opinions.

Les débats, au cours des décennies de l’après-guerre, étaient encore ouverts, d’une ouverture que l’on imagine à peine aujourd’hui. Des hommes et des femmes de vues différentes s’y exprimaient ; des conservateurs et des libéraux, des « Carolingiens » et des nationaux, des croyants et des athées, des catholiques et des existentialistes. Dans des questions comme l’armement atomique ou les liens transatlantiques, lorsque quelqu’un comme Mohler intervenait et prenait une position originale, on considérait que c’était un enrichissement du débat et non pas un danger pour le consensus ou le départ d’un processus menaçant la cohésion de la société.

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Mohler a compris petit à petit que cette situation changeait fondamentalement. La révolte étudiante des années 60, il l’a décrite avec suffisance, au départ, bien qu’avec une certaine bienveillance pour la révolte de la jeune génération. D’après lui, le problème n’était pas de voir la gauche sur les barricades mais la masse des bourgeois lâches qui préféraient se retirer de tout plutôt que d’engager la lutte.

Mohler refusait de croire que les « Secondes Lumières », telles qu’elles se proclamaient, allaient tenir le haut du pavé pendant longtemps. Il ne croyait pas davantage que les portes, qui étaient fermées pour lui, resteraient verrouillées à jamais. Le projet de la revue Criticon, qu’il lance en 1970 avec son ami Caspar von Schrenck-Notzing, s’est constitué par les deux hommes imaginaient que le roll back n’allait pas durer.

L’influence de ses textes demeure

Cet espoir s’est avéré faux. Par voie de conséquence, Mohler a dû se contenter de Criticon et des petites maisons d’édition de la mouvance droitière. Ce fut une ombre qui assombrit ses vieilles années. A cela se sont ajoutés la déception quant à l’échec d’une carrière universitaire et l’abandon de ses disciples qui se cherchaient une niche ou qui abjuraient leurs convictions. Sur le plan personnel, ce fut bien amer, surtout que cela entraînait, lui semblait-il, une rupture dans la continuité.

Mais Mohler ne s’est pas résigné. A sa façon particulière, à sa manière inhabituelle, il tenté de définir ce qu’était « être de droite ». Ce qui unit cette mouvance de droite, c’est le sentiment tragique de la vie, lequel induit une dialectique particulière : « La différence la plus fondamentale entre un homme de gauche et un homme de droite réside en ceci : l’homme de droite a toujours conscience de sa finitude. C’est ce qui le retient de formuler de grands projets irréalisables et d’esquisser des utopies à l’infini comme le fait allègrement l’homme de gauche. Cependant, conscient de sa finitude, il veut expérimenter la naissance nouvelle, la création nouvelle, il s’engage sans arrière-pensées à façonner des visions synthétiques, bien centrées sur elles-mêmes, qu’il oppose au chaos. La différence entre gauche et droite n’est donc pas la différence entre pessimisme et optimisme ».

unnamedamej.jpgSi l’on cherche à expliquer ce qu’il reste de la pensée de Mohler, alors il faut laisser tomber ce qu’il a souvent lui-même (et aussi ses adversaires) mis au centre de ses préoccupations. Son « nominalisme » n’avait guère de consistence tout comme sa critique du christianisme, sa vision « technocratique » n’a nullement été une solution pour la mouvance conservatrice, son orientation « gaullienne » n’a quasi convaincu personne. En revanche, ce qui est incontournable dans sa manière de saisir le monde, c’est son analyse de « la période axiale du conservatisme ».  

Comme jadis, il vaut toujours la peine de lire ses analyses de la Vergangenheitsbewältigung en Allemagne, soit le processus de dégager par une propagande et une métapolitique systématique les Allemands de leur passé. De même il faut toujours lire sa définition réalitaire  du politique à la manière de Carl Schmitt. Poser ce constat revient à souligner que l’influence de penseurs comme Mohler ne peut être mesurée par le simple fait que quelqu’un se penche sur les éditions de ses livres. L’influence d’un homme comme Mohler est une influence qui découle de la lecture de ses travaux, ce que Mohler, lui-même un lecteur insatiable, a toujours souligné.

Voilà pourquoi il faut s’attendre, aujourd’hui, à trouver dans un restaurant de Berlin, un jeune homme bien entraîné physiquement, portant une barbe fournie et bien soignée, du genre hipster qui se présente dans la conversation : il a servi dans les unités du  KSK, a ensuite travaillé quelques années dans le domaine de la sécurité ; puis, quand on lui pose la question de savoir ce qui l’amène dans un cercle néo-conservateur comme le nôtre, il nous répond avec un petit sourire : « Ah, je vais vous le dire, quand j’avais seize ans, un livre d’Armin Mohler m’est tombé entre les mains ».

Armin Mohler / Karlheinz Weißmann: Die Konservative Revolution in Deutschland 1918–1932. Ein Handbuch. Ares-Verlag, 2005, gebunden, 643 Seiten, 49,90 Euro

 

jeudi, 27 août 2020

Zur Nietzsche-Rezeption Arthur Moeller van den Brucks

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Armin Thomas Müller:

Zur Nietzsche-Rezeption Arthur Moeller van den Brucks

 
Vortrag an der Universität Freiburg, Februar 2017
 

"Julien Freund: testigo del siglo XX" con Jerónimo Molina

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Entrevistas por el mundo:

"Julien Freund: testigo del siglo XX" con Jerónimo Molina

 
Hablamos con el profesor de la Universidad de Murcia, Jerónimo Molina Cano sobre la vida y la obra de Julien Freund.
 
Jerónimo Molina Cano es un polemólogo e historiador de las ideas políticas y jurídicas.
 
 
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